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    I got chills, they're multiplying
    And I'm losing control
    'Cause the power, you're supplying
    It's electrifying!

    You better shape up, 'cause I need a man
    And my heart is set on you
    You better shape up, you better understand
    To my heart I must be true
    Nothing left, nothing left for me to do

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want

    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo, the one that I need
    Oh yes indeed

    If you're filled with affection
    You're too shy to convey
    Meditate my direction
    Feel your way

    I better shape up, 'cause you need a man
    I need a man who can keep me satisfied
    I better shape up, if I'm gonna prove
    You better prove that my faith is justified
    Are you sure? Yes I'm sure down deep inside

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo, the one that I need
    Oh yes indeed

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo, the one that I need
    Oh yes indeed

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo, the one that I need
    Oh yes indeed

    You're the one that I want
    You are the one I want
    Oo, Oo, Oo honey

    You're the one that I want

    You are the one I want

    Oo,Oo,Oo honey


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    Nous poursuivons aujourd’hui notre dossier « spécial climat » avec un deuxième épisode consacré à l’impact le plus visible du réchauffement : la fonte de la glace.

    La semaine dernière, nous avons expliqué (relire ICI) que la Terre se réchauffait dans sa globalité (de l’ordre de 0,8 à 1°C entre l’ère préindustrielle et maintenant) et que cela allait s’amplifier avec le temps (surtout si rien n’est fait). Même en optimisant les efforts, l’augmentation de température serait à minima de 2°C d’ici 2100.
    Bref, tu te dis sûrement que quelques degrés en plus, ce n’est pas si grave ! Et pourtant !
    Et puis, tu constates aussi autour de toi que même si la planète se réchauffe, cela n’empêche pas de constater que certains hivers sont rigoureux avec une bonne couche de neige et des températures négatives un peu partout en France jusque dans le sud (Nice, Avignon…). Certains étés sont même particulièrement pluvieux.
    Enfin, tu t’es peut-être aussi demandé comment les scientifiques pouvaient être aussi sûrs du réchauffement à l’horizon 2100 alors que les prévisions du temps pour le lendemain sont parfois complètement à côté de la plaque (ceci dit, cela arrive de moins en moins).

    Et bien, nous allons t’expliquer aujourd’hui deux choses importantes :
    – il faut bien distinguer la notion de climat de la notion de météo,
    – une augmentation de température de quelques degrés « seulement » peut provoquer des réactions en chaîne (cela signifie qu’il y a un effet boule de neige) aux conséquences désastreuses.

    kidicop21

    Météo et climat : ce n’est pas pareil

    Bien qu’il fasse +15°C en moyenne à la surface de la Terre, cela n’empêche pas qu’il fasse +40°C dans certaines régions et -30°C dans d’autre. De même, le fait que la Terre se réchauffe àl’échelle planétaire n’empêche pas que certaines régions se refroidissent ou qu’il existe des années plus froides. Il faut comprendre que cette augmentation de température globale a pour conséquence une modification sur la répartition de la chaleur et de l’énergie autour de la Terre. D’où des dérèglements climatiques observés un peu partout dont nous parlerons dans un prochain article.

    La prévision météo sert à connaître le temps qu’il va faire en un endroit de la planète mais sur une courte échéance : pour le lendemain ou les jours qui suivent. Les météorologues s’appuient pour cela sur les mesures faites par les satellites, les radars notamment les mesures de lapression atmosphérique et de la température. Ils utilisent aussi des modèles mathématiques qui permettent de prévoir à partir des mesures en certains points du globe, leur évolution dans le temps et l’espace.
    L’étude du climat se fait en observant les températures, les phénomènes climatiques sur unetrès longue période : une trentaine d’années par exemple, parce que les climatologues prennent du recul, mettent entre parenthèses des années particulières, et regardent des moyennes.  Ainsi, observer un hiver particulier ne suffit pas à dire si le climat se dérègle ou pas.

    Bref, ce n’est pas parce que tu observes un hiver rigoureux ou un été pluvieux que le réchauffement climatique n’existe pas : tu n’observes pas sur une période suffisamment longue. Il est bel et bien réel, et c’est en particulier la fonte de la banquise et des calottes glacières qui nous le montre de la façon la plus évidente.

    Le réchauffement fait fondre la glace : comment ?

    Sur Terre, on trouve de la glace principalement au niveau des pôles, où il fait très froid :
    – au pôle Nord, c’est l’océan Arctique qui est gelé (la banquise) mais aussi des terres, comme le Groenland : un continent recouvert d’une énorme calotte de glace.
    – au pôle Sud, au niveau de l’Antarctique, le continent est recouvert d’une épaisse couche de glace.

    On trouve également de la glace dans les hauteurs des montagnes : la neige qui tombe l’hiver s’accumule, se tasse ce qui forme des glaciers.

    Qu’observe-t-on depuis de nombreuses années ? Partout où on regarde, les glaces diminuent, les glaciers reculent. La banquise fond et s’amenuise d’année en année. Sa surface diminue d’environ 10 % tous les dix ans sous les effets du réchauffement de la planète.

    Arctic_Sea_IceDiminution de la surface de la glace de l’Arctique ente 1980 (bas) et 2012 (haut)

    Le problème est d’autant plus sérieux qu’il semblerait même que le processus s’accélère : la fonte va plus vite que ce que prédisent les scientifiques grâce à leurs modèles.
    Le phénomène de réchauffement est en effet majeur aux pôles car la glace de couleur blanche, réfléchit une bonne part du rayonnement solaire. C’est ce qu’on appelle l’albédo.
    La disparition de la glace diminue donc l’albédo : une part plus importante du rayonnement solaire est absorbé, le réchauffement et la fonte sont accentués. C’est un effet « boule de neige » : les scientifiques utilisent l’expression « rétroaction positive ».

    La salinité et la dérive des morceaux de glace contribuent également à accélérer le phénomène de fonte : mais ces facteurs sont beaucoup plus difficiles à estimer et à intégrer dans les modèles.

    Ice ChaosLa dérive de la glace au Groenland (crédit photo Nick Russill)


    Les conséquences

    La fonte de la banquise comme celle des glaciers terrestres ont toutes deux d’énormes conséquences.
    Lorsque la glace terrestre fond, l’eau liquide qui en résulte rejoint la mer ! Bref, le niveau de la mer monte et monte vite. Depuis 110 ans environ, le niveau moyen mondial de la mer a monté de 19 cm. Et les scientifiques estiment que le niveau pourrait s’élever jusqu’à près de 90 cm d’ici 2100 : de nombreuses îles et régions côtières risquent d’être submergées !

    Par contre, lorsque la banquise qui flotte sur la mer fond, le niveau de la mer reste identique. Pourquoi ? Car en vertu du principe d’Archimède, cette glace déplace un volume d’eau de mer d’un poids égal au poids de la glace.  L’eau de fonte produite occupe exactement le volume exact d’eau de mer que la glace occupait.

    Mais la fonte de la banquise n’est pas sans effet pour autant. Lorsque l’océan est libéré de sa glace, il absorbe plus de chaleur ce qui modifie les échanges avec l’atmosphère : cela risque d’impacter également le climat. Encore une boucle de rétroaction !
    Nous verrons dans un prochain article la relation importante entre l’océan et l’atmosphère et comment cela joue sur le climat.

    On peut également évoquer une autre conséquence de la fonte de la glace : l’eau issue des glaciers ou des continents apporte de l’eau douce (non salée) à la mer : cela modifie l’ensembledes courants marins à la surface du globe et joue sur la répartition de la chaleur au sein de la Terre.

    Enfin, une petite pensée pour les ours polaires qui vivent sur la banquise. Puisqu’elle rétrécit, l’ours polaire est perturbé dans sa recherche de nourriture. L’espèce risque de disparaître.

    A frame-filling portrait of a male polar bear (Ursus maritimus) jumping in the pack ice. The young male, probably due to a mix of curiosity and hunger, got really close to our ship - less than 20 meters. Svalbard, Norway.

    Tu vois que quelques degrés en plus peuvent avoir d’énormes conséquences notamment à cause des boucles de rétroaction positive.

    Pour en savoir plus

    Si tu veux aborder la question de façon un peu différente, et rigolote, tu peux suivre les aventures de Qannik qui vient du Groenland et Hugo et Théo, dans le livre « Météo et Climat, ce n’est pas la même chose ! » de la collection Les Minipommes, aux Editions Le Pommier, écrit par Christophe Cassou (climatologue et chercheur ai CNRS), illustré par Louise Pianetti Voarick.

    minipommes_meteo


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    Statique : l’électricité statique résulte d’une accumulation de charges électriques qui survient lorsque deux objets non métalliques se frottent l’un contre l’autre, par exemple lorsqu’on frotte un ballon et qu’il colle au mur. Un objet accumule une charge positive et l’autre, une charge négative, ce qui entraîne un déséquilibre entre les deux. L’équilibre est rétabli par la décharge d’électricité statique. La décharge peut se manifester lentement, comme dans le cas du ballon qui se décolle du mur après un certain temps, mais elle peut aussi survenir rapidement, par exemple lorsqu’on frotte nos pieds sur un tapis et qu’on touche à un objet métallique. On ressent alors un léger choc ; le bruit qu’on entend est produit par l’air qui se réchauffe et qui prend de l’expansion à cause de l’énergie électrique libérée par l’étincelle.

    Dynamique : l’électricité dynamique se caractérise par une circulation de charges électriques dans un conducteur, autrement dit par le passage d’un courant électrique dans un circuit.

    Qu’est-ce que l’électricité ?

    La première mise en évidence de phénomènes électriques remonte au temps des Grecs, environ 600 ans avant J.C. En effet, ils avaient remarqué une propriété surprenante de l’ambre (un résine  fossilisée* dont on fait de jolis colliers) : lorsqu’on la frotte avec un morceau de tissu ou de laine, elle est capable d’attirer des petits objets légers comme des plumes ou des petits morceaux de papier. C’est la découverte de l’électricité statique.

    Le mot électricité vient d’ailleurs du mot grec « Elektron » qui signifie justement « ambre ».

    elect_1a

    * Après la mort des végétaux et animaux, la matière organique se décompose. Cependant, dans certaines conditions (forte température, pression élevée, absence d’oxygène) et avec beaucoup de temps (plusieurs millions d’années), il y a fossilisation. C’est-à-dire une transformation chimique et physique qui se traduit par une forte solidification de l’ensemble : c’est la naissance de l’ambre.

    Des cheveux qui se dressent sur la tête

    L’électricité est partout et pas seulement dans les piles ou les batteries.  Elle se manifeste de façon discrète, comme lorsque tes cheveux se dressent sur ta tête.

    elect_1b

    Mais que se passe-t-il exactement ?
    Il s’agit bel et bien d’électricité que l’ on appelle électricité statique. On va t’expliquer tout ça !

    Le mouvement des électrons

    Le mot « Elektron » qui a donné son nom à électricité, évoque aussi les électrons qui constituent la matière. C’est  la circulation d’électrons qui fait apparaître l’électricité. Mais qu’est-ce qu’un électron ?

    Comme tu le sais sûrement, la matière est constituée d’atomes, c’est-à-dire des grains de matière extrêmement petits, les plus petits qu’on puisse trouver .

     Au centre d’un atome, se trouve un noyau constitué de charges positives et neutres agglutinées en grappe et retenues ensemble par une force très puissante (d’ailleurs on l’appelle la force nucléaire forte). Autour du noyau, un certain nombre d’électrons (de charge négative),  sont disposés sur différentes couches et tourbillonnent à grande vitesse.

    elect_1c

    Les charges opposées s’attirent alors que des charges similaires se repoussent, c’est ce qu’on appelle la force électromagnétique ; les électrons restent donc à proximité du noyau, formant ainsi l’atome.

    En principe, un atome est électriquement neutre car il y a autant de charges positives que négatives : c’est pour cette raison que l’électricité de la matière qui nous entoure passe inaperçue.

    Cependant il arrive parfois que les électrons puissent quitter leur atome : c’est ce qui crée l’électricité. L’électricité est donc un mouvement de charges (positives ou négatives). Celles-ci sont généralement « portées » par les électrons qui voyagent, surtout dans les métaux.

    elect_1e

    L’une des façons possibles pour que les électrons quittent leur noyau est de frotter un objetcontre un matériau qui se comporte différemment par rapport aux électrons. En effet, certains matériaux ont tendance à céder leurs électrons au contact d’autres qui vont les capter. Lorsqu’un élément contient plus d’électrons que prévu, il devient négatif. S’il en cède, il y a un déficit de charges négatives : le matériau est donc chargé positivement.
    Une fois les électrons cédés de l’un à l’autre, ils s’accumulent et ne se déplacent plus : on parle alors d’électricité statique.

    Ainsi par exemple, lorsque tu te coiffes, et que le peigne frotte contre tes cheveux, tu arraches des électrons de ta chevelure qui se charge alors positivement. Portant tous la même charge, tes cheveux ont alors tendance à se repousser et hop, tu as une tête de hérisson !

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    D’autres expériences amusantes

    Tu peux t’amuser à jouer avec l’électricité statique avec ces différentes expériences.

    Le ballon au plafond

    Tu frottes un ballon contre ta manche puis tu l’approches d’un mur ou du plafond de ta maison. Que remarques-tu ?

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    Il tient comme collé à la paroi. Que s’est-il passé ? Frottée par le ballon, ta manche a donné des électrons : ceux-ci sont récupérés par le caoutchouc du ballon qui se charge négativement. Lorsque tu approches du mur, les électrons repoussent ceux du mur et rendent la surface chargée positivement. Le ballon (-) adhère alors au mur (+)

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    Au lieu d’approcher ton ballon d’un mur, tu peux également le rapprocher d’un fin filet d’eau du robinet.

    Expérience du charmeur de serpent

    Découpe en formant un ruban, un cercle de papier très fin (type papier de soie). Frotte un feutre en plastique contre ta manche et approche-le ensuite du papier.
    Tu dois normalement observer ceci :

    elect_partIb

    elect_partIc

    L’expérience avec l’ambre du début repose sur le même phénomène. L’ambre ou le feutre se chargent négativement lorsqu’ils sont frottés contre ta manche ou contre un tissu quelconque. Les charges négatives du feutre repoussent alors celles du papier : par contre, les charges positives du papier sont alors attirées par l’ambre ou le feutre.

    Voici une vidéo montrant et expliquant comment l’électricité statique peut être utilisée pour créer un carillon.

    Et les éclairs ?

    Lors d’un orage, tu peux observer de magnifiques (mais aussi dangereux) éclairs. Là aussi, c’est l’électricité statique qui entre en jeu.
    Pourquoi ?
    EclairQuand survient l’orage, des masses d’air importantes se déplacent : l’air s’électrise par frottement et des charges s’accumulent dans les nuages (charges négatives à la base et positives au sommet).

    Lorsque la charge électrique est trop grande, il se produit une décharge de foudre entre zones de charges opposées, de façon à rééquilibrer le tout avec une jolie étincelle ; c’est l’éclair.

    C’est Benjamin Franklin qui, grâce à un cerf-volant, a prouvé (en 1750) qu’il s’agissait d’un phénomène électrique. Ses recherches ont d’ailleurs mené à l’invention du paratonnerre.


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  • Que sont les Lumières ?

    La pensée du siècle des Lumières se développe autour de deux thèmes majeurs : le retour à la nature, la recherche du bonheur. Les philosophes dénoncent dans les religions et les pouvoirs tyranniques des forces obscurantistes responsables de l'apparition du mal, dans un monde où l'homme aurait dû être heureux. Ils réhabilitent donc la nature humaine, qui n'est plus entachée par un péché originel ou une tare ontologique ; ils substituent à la recherche chrétienne du salut dans l'au-delà la quête ici-bas du bonheur individuel. À la condamnation des passions succède leur apologie : l'homme doit les satisfaire, à condition qu'elles ne s'opposent pas au bonheur d'autrui.

    2.1. Des philosophes militants

    MontesquieuMontesquieu

    Cette nouvelle vision de l'homme et du monde, les philosophes la défendent en écrivains militants. Leur combat s'incarne dans la pratique de formes brèves, faciles à lire et susceptibles d'une vaste diffusion : lettres, contes, pamphlets.

    Création littéraire et réflexion philosophique se nourrissent mutuellement. À cet égard, l'année 1748 marque un tournant, avec la parution et le grand succès de l'Esprit des lois, dans lequelMontesquieu analyse tous les régimes politiques et établit les rapports nécessaires qui unissent les lois d'un pays à ses mœurs, à son climat et à son économie. Par là apparaît bien le caractère relatif du régime monarchique. L'année suivante, Diderot publie sa Lettre sur les aveugles, et Buffon le premier volume de son Histoire naturelle. En 1751 paraît le Siècle de Louis XIV de Voltaire.

    Diffuser la « révolution dans les esprits »

    Portrait de Diderot par GarandPortrait de Diderot par Garand

    Cette même année 1751, les idées des Lumières se mêlent et s'affinent dans un creuset : l'Encyclopédie de Diderot, dont paraît le premier volume. Il s'agit d'une œuvre qui met à la portée de l'homme nouveau – le bourgeois, l'intellectuel – une synthèse des connaissances conçue comme un instrument pour transformer le monde et conquérir le présent.

    Entre 1750 et 1775, les idées essentielles des Lumières se cristallisent et se répandent. « Il s'est fait une révolution dans les esprits […]. La lumière s'étend certainement de tous côtés », écrit Voltaire en 1765. Si après 1775 les grands écrivains disparaissent (Voltaire etRousseau en 1778, Diderot en 1784), c'est le moment de la diffusion maximale, tant géographique que sociale, des Lumières ; l'opinion se politise, prend au mot leurs idées : la philosophie est sur la place publique. L'œuvre de l'abbé Raynal (Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, 1770), qui condamne le despotisme, le fanatisme et le système colonial, connaît un grand succès. Homme politique important autant que mathématicien, Condorcet publie des brochures contre l'esclavage et pour les droits des femmes, et prépare sa synthèse de l'histoire de l'humanité (Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain.

    Pour un despotisme éclairé…

    En matière politique, les Lumières mettent en cause l'absolutisme et érigent le despotisme éclairé en modèle de gouvernement. Il s'agit de subordonner les intérêts privilégiés et les coutumes au système rationnel d'un État censé représenter le bien public, de favoriser le progrès économique et la diffusion de l'enseignement, de combattre tous les préjugés pour faire triompher la raison. Ce despotisme éclairé inspira Frédéric II en Prusse,Catherine II en Russie, Joseph II en Autriche. Mais les philosophes qui croyaient jouer un rôle positif en conseillant les princes, comme Voltaire auprès de Frédéric II et Diderot auprès de Catherine II, perdirent vite leurs illusions. Ce qu'ils avaient pris pour l'avènement de la raison et de l'État rationnel était en réalité celui de la raison d'État, cynique et autoritaire.

    …ou une monarchie modérée ?

    Montesquieu, lui, est favorable à une monarchie modérée, de type anglais, où la liberté est assurée par la séparation des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. L'Angleterre est pour lui le royaume le mieux gouverné de l'Europe, parce que le citoyen y est protégé par la loi contre tout arbitraire et parce que le roi respecte la loi qu'il n'a pas élaborée lui-même, prérogative qui appartient aux représentants élus de la nation.

    Pour autant, le rôle prééminent de la noblesse dans la nation et au Parlement n'est pas remis en cause. Montesquieu propose qu'en France les « pouvoirs intermédiaires » (clergé, noblesse, parlements judiciaires) exercent une forme de contrôle, comme représentants naturels de la nation, sur la monarchie : son libéralisme politique est donc limité aux élites.

    Un creuset d'idées nouvelles

    Les écrivains-philosophes ne marchent pas tous du même pas. Des lignes de partage se dessinent entre un courant déiste (Voltaire) et un matérialisme convaincu (Diderot, d'Holbach), entre une revendication générale de liberté (Voltaire encore) et un souci d'égalité et de justice sociale (Rousseau). À la fin du siècle, une nouvelle génération – celle des Idéologues – tentera d'articuler théorie et pratique et de définir une science de l'homme qui, par la mise en œuvre de réformes politiques et culturelles, assure le progrès de l'esprit humain.

    Jean-Jacques RousseauJean-Jacques Rousseau

    Mais, en réaction à l'affirmation de cette raison collective, le moi sensible revendique ses droits : Rousseau, qui a posé dans le Contrat social les conditions de légitimité de toute autorité politique, donne avec ses Confessions le modèle de l'expression authentique d'un être unique et fait de la remontée aux sources de l'enfance et du passé l'origine de toute création littéraire.

    2.2. Idées et idéaux des Lumières

    Le fonds commun des Lumières réside dans un rejet de la métaphysique, selon laquelle la transcendance (Dieu) précède la réalité (le monde). Les termes en sont inversés : la transcendance est ce qui reste, ce qui résiste à toute analyse rationnelle, scientifique, historique. Par-delà leur diversité, les hommes des Lumières ont en commun cette attitude d'esprit inspirée de la méthode scientifique, de l'expérimentalisme deNewton et de Locke : chercher dans l'investigation empirique des choses les rapports, les corrélations, les lois qui les régissent, et qui ont été jusqu'à présent masqués par lespréjugés.

    Rejeter les dogmes

    Du coup, la vérité est recherchée du côté du monde physique, de l'univers pratique. Avec les Lumières, le regard intellectuel curieux se détourne du ciel au profit du monde concret des hommes et des choses. Les dogmes et les vérités révélées sont rejetés. Les Lumières refusent la prétention de la religion à tout expliquer, à fournir les raisons ultimes ; elles veulent distinguer entre les différentes sphères de la réalité : le naturel, le politique, le domestique, le religieux, chacun ayant son domaine de pertinence et ses lois, chacun exigeant des savoirs et des méthodes de connaissance différents.

    Rejet des dogmes mais pas rejet de Dieu. La plupart des intellectuels éclairés restent néanmoins déistes : pour eux, l'Univers est une mécanique admirablement réglée, dont l'ordre implique une intelligence ordonnatrice. « Je ne puis imaginer, dit Voltaire, que cette horloge marche et n'ait pas d'horloger. »

    Marcher vers le bonheur

    VoltaireVoltaire

    La philosophie des Lumières procède d'un humanisme laïque : elle place l'homme au centre du monde, et entend œuvrer à son bonheur. Pour Voltaire, « le vrai philosophe défriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues, occupe le pauvre et l'enrichit, encourage les mariages, établit l'orphelin. Il n'attend rien des hommes, mais leur fait tout le bien dont il est capable ».

    Un tel humanisme se situe à rebours de l'espérance chrétienne : « La vertu consiste à faire du bien à ses semblables et non pas dans de vaines pratiques de mortifications », écrit encore Voltaire. Foin des prières et des cierges dans les églises, il faut des actes. Tout l'effort de connaissance est orienté vers l'utilité commune. Cette conception utilitariste fait du bonheur le bien suprême. Elle tourne le dos à l'idée chrétienne de purification par l'épreuve et la souffrance, ainsi qu'aux notions nobiliaires et militaires d'héroïsme et de gloire.

    Il y a là un optimisme fondamental, aux effets mobilisateurs : les hommes des Lumières croient au progrès possible des connaissances, à la capacité de la raison de saper les conventions, les usages et les institutions qui contredisent la nature et la justice. Pour eux, l'avancée de la science garantit la marche vers le bonheur. Cette foi dans le progrès indéfini de l'humanité se trouve d'ailleurs confortée par les découvertes scientifiques et la croissance économique du siècle.

    3. La diffusion des Lumières

    Le mouvement des Lumières se distingue des mouvements intellectuels qui l'ont précédé par son destinataire : l'opinion publique. Voltaire, Diderot et leurs amis sont des agitateurs d'idées ; ils veulent discuter, convaincre. Les progrès de l'alphabétisation et de la lecture dans l'Europe du xviiie s. permettent le développement de ce qu'on a appelé un « espace public » : les débats intellectuels et politiques dépassent le cercle restreint de l'administration et des élites, impliquant progressivement des secteurs plus larges de la société. La philosophie est à double titre « l'usage public de la raison », comme le dit Kant : à la fois le débat public, ouvert, contradictoire, qui s'enrichit de la libre discussion, et l'agitation, la propagande pour convaincre et répandre les idées nouvelles.

    3.1. Les cafés et les salons littéraires

    Le siècle des Lumières invente, ou renouvelle profondément, des lieux propices au travail de l'opinion publique. Ce sont d'abord les cafés, où on lit et on débat, comme le Procope, à Paris, où se réunissent Fontenelle, Voltaire, Diderot, Marmontel, et qui sont le rendez-vous nocturne des jeunes poètes ou des critiques qui discutent passionnément des derniers succès de théâtre ou de librairie.

    Ce sont surtout les salons mondains, ouverts par tous ceux qui ont quelque ambition, ne serait-ce que celle de paraître – et souvent, des femmes jouent un rôle essentiel dans ce commerce des intelligences, dépassant le simple badinage et la préciosité. Mais il faut y être introduit. Les grandes dames reçoivent artistes, savants et philosophes. Chaque hôtesse a son jour, sa spécialité et ses invités de marque. Le modèle est l'hôtel de la marquise de Lambert, au début du siècle. Plus tard, Mme de Tencin, rue Saint-Honoré, accueille Marivaux et de nombreux autres écrivains. Mme Geoffrin, Mme du Deffand, Julie de Lespinasse, puis Mme Necker reçoivent les encyclopédistes. Les gens de talent s'y retrouvent régulièrement pour confronter leurs idées ou tester sur un public privilégié leurs derniers vers. Mondaines et cultivées, les créatrices de ces salons animent les soirées, encouragent les timides et coupent court aux disputes. Ce sont de fortes personnalités, très libres par rapport à leurs consœurs, et souvent elles-mêmes écrivains et épistolières.

    3.2. Les académies et les loges

    Les académies sont des sociétés savantes qui se réunissent pour s'occuper de belles-lettres et de sciences, pour contribuer à la diffusion du savoir. En France, après les fondations monarchiques du xviie s. (Académie française, 1634 ; Académie des inscriptions et belles-lettres, 1663 ; Académie royale des sciences, 1666 ; Académie royale d'architecture, 1671), naissent encore à Paris l'Académie royale de chirurgie (1731) et la Société royale de médecine (1776). Le clergé et, dans une moindre mesure, la noblesse y prédominent. En province, il y a neuf académies en 1710, 35 en 1789.

    Ces sociétés provinciales regroupent les représentants de l'élite intellectuelle des villes françaises. Leur composition sociale révèle que les privilégiés y occupent une place moindre qu'à Paris : 37 % de nobles, 20 % de gens d'Église. Les roturiers constituent 43 % des effectifs : c'est l'élite des possédants tranquilles qui siège là. Marchands et manufacturiers sont peu présents (4 %).

    Toutes ces sociétés de pensée fonctionnent comme des salons ouverts et forment entre elles des réseaux provinciaux, nationaux, européens, échangeant livres et correspondance, accueillant les étrangers éclairés, lançant des programmes de réflexion, des concours de recherche. On y parle physique, chimie, minéralogie, agronomie, démographie.

    Parmi les réseaux éclairés, le plus développé est celui de la franc-maçonnerie, quoique réservé aux couches supérieures et aux hommes. Née en Angleterre et en Écosse, la franc-maçonnerie, groupement à vocation philanthropique et initiatique, concentre tous les caractères des Lumières : elle est théiste, tolérante, libérale, humaniste, sentimentale. Elle connaît un succès foudroyant dans toute l'Europe, où l'on compte des milliers de loges en 1789. Les milieux civils, militaires et même religieux, liés aux appareils d'État, y sont tout particulièrement gagnés. Ni anticléricales (elles le seront au xixe s.) ni révolutionnaires, les loges ont contribué à répandre les idées philosophiques et l'esprit de réforme dans les lieux politiquement stratégiques. La discussion intellectuelle l'emporte sur le caractère ésotérique ou sectaire. Surtout, les élites y font, plus encore que dans les académies, l'apprentissage de l'égalité des talents, de l'élévation par le mérite et non par le privilège de la naissance.

    3.3. Les bibliothèques, les livres, la presse

    Voisines des académies, souvent peuplées des mêmes hommes avides de savoir, les bibliothèques publiques et chambres de lecture se sont multipliées, fondées par de riches particuliers ou à partir de souscriptions publiques. Elles collectionnent les travaux scientifiques, les gros dictionnaires, offrent une salle de lecture et, à côté, une salle de conversation.

    La presse enfin contribue à la constitution d'un espace public savant, malgré la censure, toujours active. LeJournal des savants, le Mercure de France, les périodiques économiques sont en fait plutôt ce que nous appellerions des revues. Par les recensions d'ouvrages et par les abonnements collectifs des sociétés de pensée, un public éloigné des centres de création peut prendre connaissance des idées et des débats, des découvertes du mois, sinon du jour.

    4. L'Encyclopédie

    Planche extraite de l'EncyclopédiePlanche extraite de l'Encyclopédie

    Un ouvrage – ou plutôt un ensemble de 35 volumes auquel ont collaboré 150 savants, philosophes et spécialistes divers – incarne à lui seul la vaste entreprise humaniste et savante des Lumières : c'est l'Encyclopédie. Travail collectif mené sur près de vingt ans, le projet repose sur un animateur essentiel, Diderot, qui en définit ainsi l’objet : « Le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre, d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous, afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont, que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux... ». Mais cette somme est aussi un combat : sa rédaction et sa publication voient se heurter raison et religion, liberté et autorité.

    4.1. Une formidable aventure éditoriale

    L’histoire de l’édition de L’Encyclopédie (ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers) est à la fois longue et complexe, jalonnée de succès et de revers pour les auteurs. Les hautes protections dont ceux-ci bénéficient ne sont d’ailleurs pas étrangères à la violence de la bataille : dans l’entourage même de Louis XV, Mme de Pompadour ou Guillaume de Malesherbes, directeur de la Librairie et responsable de la censure royale, soutiennent l’entreprise, tandis que la reine et les jésuites cherchent à la ruiner.

    Les atteintes à la religion et les professions de foi matérialistes, nombreuses dans l’ouvrage, suscitent procès, demandes d’interdiction, pamphlets, arrêt du Conseil d’Etat. La parution des volumes est plusieurs fois interrompue et menacée. En cours de publication, l’imprimeur craint d’être enfermé à la Bastille, et supprime de sa propre initiative les passages qu’il juge les plus dangereux, ce qui complique un peu plus les choses.

    4.2. Un maître d’œuvre : Diderot

    Le succès final tient à la ténacité de Diderot, assisté les premières années de d’Alembert. Si l’ouvrage a pour point de départ la traduction et l’adaptation en français de la Cyclopaedia (1728) de l’Anglais Ephraim Chambers, le chantier, que leur a confié le libraire et éditeur Le Breton, va bien au-delà. L’idée de traduire Chambers est abandonnée : une œuvre originale s’annonce.

    Diderot a le culte des idées, de la raison humaine et du progrès, ce qui fait de lui le représentant par excellence des Lumières. Il vise en fait à livrer un panorama complet des connaissances scientifiques et du débat philosophique au milieu du xviiie siècle. L’équipe des rédacteurs est nombreuse, car le principe retenu a été de s’adresser aux spécialistes des questions traitées, de façon à atteindre une exactitude technique irréprochable.

    Mais derrière les noms plus ou moins illustres des contributeurs, Jean-Jacques Rousseau, ou Voltaire, l’architecte Blondel, l’astronome Le Roy, le juriste Toussaint, etc., c’est Diderot qui demeure maître d’œuvre et relit, corrige, et coordonne plus de 71 000 articles.

    4.3. Une place de choix pour l’illustration

    La place qu’elle réserve aux illustrations est une caractéristique de l’Encyclopédie, et un fardeau supplémentaire dans une aventure éditoriale compliquée.

    Certes les gravures sont moins sujettes à polémiques que les articles de fond sur des notions abstraites ou complexes telle que « Raison », « Homme », ou « Christianisme ». Mais l’abondance et la qualité d’exécution de ces gravures suscitent des frais importants, envisagés dès le départ dans un pari de rentabilité : en 1750, lors de la première offre aux souscripteurs de l’ouvrage, il est prévu 2 volumes de planches pour 8 volumes de textes.

    L’Encyclopédie se compose finalement de 17 volumes de textes et de 11 volumes de planches (plus 2 volumes d’index et 5 de suppléments). Ainsi le principe de l’image est-il renforcé en cours de route, et l’illustration joue-t-elle sa part, considérable, dans la visée encyclopédique. Les machines qui sont démontées et détaillées, les outils qui sont présentés et expliqués contribuent à un éloge du génie humain à travers son expression la plus positive.

    4.4. Un best-seller au xviiie siècle

    La masse des souscripteurs de l’Encyclopédie varie au cours des vingt et une années qui s’écoulent entre la sortie du premier volume et du dernier, de 1751 à 1772. Au moment où le livre va commencer à paraître, ils sont 1000 qui s’engagent à l’acheter et acceptent d’avancer 20 % du montant du prix total. Par la suite, ce nombre double, triple et même quadruple pour enfin se stabiliser autour de 2 500.

    L’ouvrage ayant été imprimé à plus de 4 000 exemplaires – ce qui est considérable pour l’époque –, la vente ferme d’un peu plus de la moitié du tirage est faite avant l’arrivée du livre en librairie. Outre les esprits cultivés étrangers lisant le français, les imitations et traductions assureront la diffusion de l’œuvre dans toute l’Europe, y répandant l’esprit des Lumières.

    Marcher vers le bonheur

    VoltaireVoltaire

    La philosophie des Lumières procède d'un humanisme laïque : elle place l'homme au centre du monde, et entend œuvrer à son bonheur. Pour Voltaire, « le vrai philosophe défriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues, occupe le pauvre et l'enrichit, encourage les mariages, établit l'orphelin. Il n'attend rien des hommes, mais leur fait tout le bien dont il est capable ».

    Un tel humanisme se situe à rebours de l'espérance chrétienne : « La vertu consiste à faire du bien à ses semblables et non pas dans de vaines pratiques de mortifications », écrit encore Voltaire. Foin des prières et des cierges dans les églises, il faut des actes. Tout l'effort de connaissance est orienté vers l'utilité commune. Cette conception utilitariste fait du bonheur le bien suprême. Elle tourne le dos à l'idée chrétienne de purification par l'épreuve et la souffrance, ainsi qu'aux notions nobiliaires et militaires d'héroïsme et de gloire.

    Il y a là un optimisme fondamental, aux effets mobilisateurs : les hommes des Lumières croient au progrès possible des connaissances, à la capacité de la raison de saper les conventions, les usages et les institutions qui contredisent la nature et la justice. Pour eux, l'avancée de la science garantit la marche vers le bonheur. Cette foi dans le progrès indéfini de l'humanité se trouve d'ailleurs confortée par les découvertes scientifiques et la croissance économique du siècle.

    3. La diffusion des Lumières

    Le mouvement des Lumières se distingue des mouvements intellectuels qui l'ont précédé par son destinataire : l'opinion publique. Voltaire, Diderot et leurs amis sont des agitateurs d'idées ; ils veulent discuter, convaincre. Les progrès de l'alphabétisation et de la lecture dans l'Europe du xviiie s. permettent le développement de ce qu'on a appelé un « espace public » : les débats intellectuels et politiques dépassent le cercle restreint de l'administration et des élites, impliquant progressivement des secteurs plus larges de la société. La philosophie est à double titre « l'usage public de la raison », comme le dit Kant : à la fois le débat public, ouvert, contradictoire, qui s'enrichit de la libre discussion, et l'agitation, la propagande pour convaincre et répandre les idées nouvelles.

    3.1. Les cafés et les salons littéraires

    Le siècle des Lumières invente, ou renouvelle profondément, des lieux propices au travail de l'opinion publique. Ce sont d'abord les cafés, où on lit et on débat, comme le Procope, à Paris, où se réunissent Fontenelle, Voltaire, Diderot, Marmontel, et qui sont le rendez-vous nocturne des jeunes poètes ou des critiques qui discutent passionnément des derniers succès de théâtre ou de librairie.

    Ce sont surtout les salons mondains, ouverts par tous ceux qui ont quelque ambition, ne serait-ce que celle de paraître – et souvent, des femmes jouent un rôle essentiel dans ce commerce des intelligences, dépassant le simple badinage et la préciosité. Mais il faut y être introduit. Les grandes dames reçoivent artistes, savants et philosophes. Chaque hôtesse a son jour, sa spécialité et ses invités de marque. Le modèle est l'hôtel de la marquise de Lambert, au début du siècle. Plus tard, Mme de Tencin, rue Saint-Honoré, accueille Marivaux et de nombreux autres écrivains. Mme Geoffrin, Mme du Deffand, Julie de Lespinasse, puis Mme Necker reçoivent les encyclopédistes. Les gens de talent s'y retrouvent régulièrement pour confronter leurs idées ou tester sur un public privilégié leurs derniers vers. Mondaines et cultivées, les créatrices de ces salons animent les soirées, encouragent les timides et coupent court aux disputes. Ce sont de fortes personnalités, très libres par rapport à leurs consœurs, et souvent elles-mêmes écrivains et épistolières.

    3.2. Les académies et les loges

    Les académies sont des sociétés savantes qui se réunissent pour s'occuper de belles-lettres et de sciences, pour contribuer à la diffusion du savoir. En France, après les fondations monarchiques du xviie s. (Académie française, 1634 ; Académie des inscriptions et belles-lettres, 1663 ; Académie royale des sciences, 1666 ; Académie royale d'architecture, 1671), naissent encore à Paris l'Académie royale de chirurgie (1731) et la Société royale de médecine (1776). Le clergé et, dans une moindre mesure, la noblesse y prédominent. En province, il y a neuf académies en 1710, 35 en 1789.

    Ces sociétés provinciales regroupent les représentants de l'élite intellectuelle des villes françaises. Leur composition sociale révèle que les privilégiés y occupent une place moindre qu'à Paris : 37 % de nobles, 20 % de gens d'Église. Les roturiers constituent 43 % des effectifs : c'est l'élite des possédants tranquilles qui siège là. Marchands et manufacturiers sont peu présents (4 %).

    Toutes ces sociétés de pensée fonctionnent comme des salons ouverts et forment entre elles des réseaux provinciaux, nationaux, européens, échangeant livres et correspondance, accueillant les étrangers éclairés, lançant des programmes de réflexion, des concours de recherche. On y parle physique, chimie, minéralogie, agronomie, démographie.

    Parmi les réseaux éclairés, le plus développé est celui de la franc-maçonnerie, quoique réservé aux couches supérieures et aux hommes. Née en Angleterre et en Écosse, la franc-maçonnerie, groupement à vocation philanthropique et initiatique, concentre tous les caractères des Lumières : elle est théiste, tolérante, libérale, humaniste, sentimentale. Elle connaît un succès foudroyant dans toute l'Europe, où l'on compte des milliers de loges en 1789. Les milieux civils, militaires et même religieux, liés aux appareils d'État, y sont tout particulièrement gagnés. Ni anticléricales (elles le seront au xixe s.) ni révolutionnaires, les loges ont contribué à répandre les idées philosophiques et l'esprit de réforme dans les lieux politiquement stratégiques. La discussion intellectuelle l'emporte sur le caractère ésotérique ou sectaire. Surtout, les élites y font, plus encore que dans les académies, l'apprentissage de l'égalité des talents, de l'élévation par le mérite et non par le privilège de la naissance.

    3.3. Les bibliothèques, les livres, la presse

    Voisines des académies, souvent peuplées des mêmes hommes avides de savoir, les bibliothèques publiques et chambres de lecture se sont multipliées, fondées par de riches particuliers ou à partir de souscriptions publiques. Elles collectionnent les travaux scientifiques, les gros dictionnaires, offrent une salle de lecture et, à côté, une salle de conversation.

    La presse enfin contribue à la constitution d'un espace public savant, malgré la censure, toujours active. LeJournal des savants, le Mercure de France, les périodiques économiques sont en fait plutôt ce que nous appellerions des revues. Par les recensions d'ouvrages et par les abonnements collectifs des sociétés de pensée, un public éloigné des centres de création peut prendre connaissance des idées et des débats, des découvertes du mois, sinon du jour.

    4. L'Encyclopédie

    Planche extraite de l'EncyclopédiePlanche extraite de l'Encyclopédie

    Un ouvrage – ou plutôt un ensemble de 35 volumes auquel ont collaboré 150 savants, philosophes et spécialistes divers – incarne à lui seul la vaste entreprise humaniste et savante des Lumières : c'est l'Encyclopédie. Travail collectif mené sur près de vingt ans, le projet repose sur un animateur essentiel, Diderot, qui en définit ainsi l’objet : « Le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre, d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous, afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont, que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux... ». Mais cette somme est aussi un combat : sa rédaction et sa publication voient se heurter raison et religion, liberté et autorité.

    4.1. Une formidable aventure éditoriale

    L’histoire de l’édition de L’Encyclopédie (ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers) est à la fois longue et complexe, jalonnée de succès et de revers pour les auteurs. Les hautes protections dont ceux-ci bénéficient ne sont d’ailleurs pas étrangères à la violence de la bataille : dans l’entourage même de Louis XV, Mme de Pompadour ou Guillaume de Malesherbes, directeur de la Librairie et responsable de la censure royale, soutiennent l’entreprise, tandis que la reine et les jésuites cherchent à la ruiner.

    Les atteintes à la religion et les professions de foi matérialistes, nombreuses dans l’ouvrage, suscitent procès, demandes d’interdiction, pamphlets, arrêt du Conseil d’Etat. La parution des volumes est plusieurs fois interrompue et menacée. En cours de publication, l’imprimeur craint d’être enfermé à la Bastille, et supprime de sa propre initiative les passages qu’il juge les plus dangereux, ce qui complique un peu plus les choses.

    4.2. Un maître d’œuvre : Diderot

    Le succès final tient à la ténacité de Diderot, assisté les premières années de d’Alembert. Si l’ouvrage a pour point de départ la traduction et l’adaptation en français de la Cyclopaedia (1728) de l’Anglais Ephraim Chambers, le chantier, que leur a confié le libraire et éditeur Le Breton, va bien au-delà. L’idée de traduire Chambers est abandonnée : une œuvre originale s’annonce.

    Diderot a le culte des idées, de la raison humaine et du progrès, ce qui fait de lui le représentant par excellence des Lumières. Il vise en fait à livrer un panorama complet des connaissances scientifiques et du débat philosophique au milieu du xviiie siècle. L’équipe des rédacteurs est nombreuse, car le principe retenu a été de s’adresser aux spécialistes des questions traitées, de façon à atteindre une exactitude technique irréprochable.

    Mais derrière les noms plus ou moins illustres des contributeurs, Jean-Jacques Rousseau, ou Voltaire, l’architecte Blondel, l’astronome Le Roy, le juriste Toussaint, etc., c’est Diderot qui demeure maître d’œuvre et relit, corrige, et coordonne plus de 71 000 articles.

    4.3. Une place de choix pour l’illustration

    La place qu’elle réserve aux illustrations est une caractéristique de l’Encyclopédie, et un fardeau supplémentaire dans une aventure éditoriale compliquée.

    Certes les gravures sont moins sujettes à polémiques que les articles de fond sur des notions abstraites ou complexes telle que « Raison », « Homme », ou « Christianisme ». Mais l’abondance et la qualité d’exécution de ces gravures suscitent des frais importants, envisagés dès le départ dans un pari de rentabilité : en 1750, lors de la première offre aux souscripteurs de l’ouvrage, il est prévu 2 volumes de planches pour 8 volumes de textes.

    L’Encyclopédie se compose finalement de 17 volumes de textes et de 11 volumes de planches (plus 2 volumes d’index et 5 de suppléments). Ainsi le principe de l’image est-il renforcé en cours de route, et l’illustration joue-t-elle sa part, considérable, dans la visée encyclopédique. Les machines qui sont démontées et détaillées, les outils qui sont présentés et expliqués contribuent à un éloge du génie humain à travers son expression la plus positive.

    4.4. Un best-seller au xviiie siècle

    La masse des souscripteurs de l’Encyclopédie varie au cours des vingt et une années qui s’écoulent entre la sortie du premier volume et du dernier, de 1751 à 1772. Au moment où le livre va commencer à paraître, ils sont 1000 qui s’engagent à l’acheter et acceptent d’avancer 20 % du montant du prix total. Par la suite, ce nombre double, triple et même quadruple pour enfin se stabiliser autour de 2 500.

    L’ouvrage ayant été imprimé à plus de 4 000 exemplaires – ce qui est considérable pour l’époque –, la vente ferme d’un peu plus de la moitié du tirage est faite avant l’arrivée du livre en librairie. Outre les esprits cultivés étrangers lisant le français, les imitations et traductions assureront la diffusion de l’œuvre dans toute l’Europe, y répandant l’esprit des Lumières.


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    L’écologie industrielle est une véritable composante opérationnelle du développement durable. Elle vise à rompre avec l’approche linéaire classique des activités économiques qui n’intègre ni la finitude des ressources, ni l’incapacité de la planète à absorber la totalité des déchets produits.

    Traduit de l’anglais « industrial ecology », il faut interpréter « industrielle » comme étant un qualificatif représentant l’ensemble des activités économiques d’un territoire (industrie, agriculture, commerce, transport…). Ainsi, l’écologie industrielle prône une approche systémique des activités, inspirée des écosystèmes naturels. Elle intègre à la fois la finitude des ressources et le besoin de diminuer les impacts des activités sur l’environnement. L’écologie industrielle permet également de stimuler le tissu économique du territoire. Il s’agit d’une part, d’optimiser la gestion des flux de matière et d’énergie à travers la mise en œuvre de synergie et de mutualisations de ces flux, et d’autre part, de mettre en place des filières de recyclage, valorisation, réemploi, etc. de produits.

    Fonctionnement des écosystèmes naturels.Fonctionnement linéaire des systèmes "industriels" classique.Fonctionnement circulaire des systèmes éco-industriels 

    Le principal enjeu de l’écologie industrielle est donc l’augmentation de l’efficacité des ressources afin d’aboutir à une situation « gagnant – gagnant » entre l’économie et l’environnement. En effet, la mise en œuvre d’une telle discipline génère plus de richesses tout en réduisant l’impact des activités économiques sur la biosphère. Quatre grands principes permettent de répondre à cet enjeu :

     

    Valoriser systématiquement les déchets : en leur ré-attribuant une valeur économique, il devient plus intéressant de les valoriser, à l’image des écosystèmes naturels à l’intérieur desquels les déchets des uns deviennent les ressources des autres.

     

    Minimiser les pertes par dissipation des produits tout au long de leurs cycles de vie (pesticides, solvants, etc.).

     

    Dématérialiser l'économie par la minimisation des flux totaux de matière tout en assurant des services au moins équivalents (économie de fonctionnalité, etc.).

     

    Décarboniser l'énergie qui, depuis un siècle et demi, est principalement obtenue à partir d'hydrocarbures d'origine fossile (charbon, pétrole, gaz), responsables de nombreux problèmes tels que l’augmentation de l'effet de serre, les marées noires, etc.

    Exemple

    L'écologie industrielle peut se mettre en œuvre aussi bien entre plusieurs acteurs économiques qu'au sein d'une même entreprise. C'est le cas d'AT France, producteur troyen d'andouillette. L'entreprise de la famille LEMELLE utilisait, avant la réalisation du projet TEVE (Traitement des Eaux et Valorisation Énergétique), uniquement de l'énergie fossile et devait payer pour traiter ou éliminer ses effluents et ses co-produits (eaux grasses, déchets d'équarrissage, etc.).

    Situation initiale de l'entreprise.Aujourd'hui, le traitement de ses eaux grasses génère un déchet source d'énergie qui, ajouté aux co-produits, se substituent partiellement à l'énergie fossile. Par ailleurs, l'excédent de vapeur produit a permis d'implanter une activité de blanchisserie pour nettoyer les vêtements de travail des employés.Situation actuelle de l'entreprise, après mise en œuvre du projet TEVE

    Ce projet a nécessité un investissement de 900 k€ pour le traitement des eaux et la chaudière, et de 200 k€ pour la blanchisserie, pour un gain de 100% en déchets d’équarrissage et de 30% en consommation de gaz. Outre la diminution des impacts sur l’environnement, cette démarche d'écologie industrielle a, entre autre, permis de faire des économies de l'ordre de 15 k€/an par rapport à une prestation de blanchisserie

    L’écologie industrielle et territoriale s’inspire du fonctionnement des écosystèmes naturels pour recréer à l’échelle du système industriel une organisation caractérisée par un usage optimal des ressources et un fort taux de recyclage de la matière et de l’énergie. Concrètement, il s’agit d’inciter les acteurs économiques à développer des synergies, de sorte à réutiliser localement les résidus de production et mutualiser certains services et équipements. L’objectif est de tendre vers des circuits courts et un bouclage des cycles des flux physiques à l’échelle des territoires, et ainsi de limiter globalement la consommation de ressources et les impacts environnementaux. L’écologie industrielle intéresse donc les entreprises mais aussi les acteurs publics, en particulier les collectivités locales, dans le cadre de leurs politiques de développement durable.

    L’écologie industrielle et territoriale s’appuie sur une vision systémique de l’environnement industriel et de la gestion des ressources. Elle propose d’acquérir un savoir stratégique, la connaissance des flux physiques caractérisant un territoire ou un tissu économique donné, afin d’identifier des solutions d’optimisation pour les acteurs économiques qui le composent, et in fine de réduire la consommation de ressources et les impacts environnementaux à l’échelle du système considéré. Les démarches territoriales d’écologie industrielle relèvent donc d’une approche trans-sectorielle, puisqu’on s’intéresse d’abord à la nature des flux physiques des activités. Elles débouchent généralement sur des actions comme la mutualisation de moyens et de services entre des entreprises proches et la valorisation des énergies fatales et des déchets ou coproduits en matières premières secondaires. Ces synergies de proximité, prises dans leur ensemble, tendent ainsi à former des circuits courts et un bouclage local des cycles de matière et d’énergie. Concrètement, elles sont souvent identifiées et mises en œuvre par le biais d’actions collectives rassemblant les acteurs économique et du développement du territoire (entreprises et club d’entreprises, collectivités, aménageurs, chambres consulaires, etc.). L’écologie industrielle combine ainsi des composantes techniques et socio-économiques.

    En France, l’intérêt pour l’écologie industrielle est grandissant. Des acteurs universitaires, industriels, politiques, ont participé il y a quelques années au lancement d’initiatives singulières : Club Ecologie Industrielle de l’Aube, association Ecopal dans le Dunkerquois, projet « Vallée de la chimie » dans le couloir Rhodanien en région lyonnaise, étude préliminaire menée sur le Port Autonome de Marseille… Aujourd’hui le soutien public à ce type d’initiatives est de plus en plus important, que ce soit au niveau national (mission « Compétitivité durable des entreprises menée par Orée pour le compte de la DGCIS [1] , projet COMETHE [2]) ou territorial. On compte ainsi à ce jour une quarantaine de démarches initiées en France, que ce soit à l’échelle régionale, à travers des diagnostics territoriaux à visée prospective et stratégique, ou à l’échelle de zones d’activités, d’agglomérations, de bassins d’activités, dans le déploiement d’opérations concrètes.

    Histoire

    La notion d’écologie industrielle apparaît dès les années 60/70 dans la littérature scientifique. Elle ressurgit chez certains ingénieurs américains au début des années 90 pour devenir un véritable champ scientifique et technique, mêlant sciences de l’ingénierie, écologie et économie. En 1997 est lancé leJournal of Industrial Ecology (MIT Press), première revue scientifique consacrée à la discipline. Temps fort : la parution en 1989 dans le Scientific American d’un article de Robert Frosch, vice président de la recherche et de Nicholas Gallopoulos, responsable de la recherche sur les moteurs, tous deux chez General Motors, développant l’idée d’un modèle productif plus intégré, de « stratégies industrielles viables », ayant un impact réduit sur l’environnement parlant « d’écosystème industriel ».

    L’écologie industrielle, une définition

    Le système industriel et la biosphère sont habituellement considérés comme séparés : d’un côté, les usines, les villes ; de l’autre, la nature, « l’environnement ». L’écologie industrielle explore l’hypothèse inverse : le système industriel peut être considéré comme une forme particulière d’écosystème. Après tout, les processus de fabrication et de consommation des biens et des services consistent en des flux et stocks de matière, d’énergie et d’information.

    Ainsi, l’image du fonctionnement des chaînes alimentaires dans le milieu naturel, les résidus de production d’une activité peuvent devenir une ressource pour une autre activité. Les entreprises peuvent réutiliser entre elles, ou avec les collectivités voire les particuliers, les déchets, coproduits, effluents, énergies fatales ou développer des solutions communes. Par rapport aux nombreuses approches de la gestion de l’environnement, l’écologie industrielle présente trois spécificités :

    • Le recours à un cadre conceptuel faisant référence à l’écologie scientifique ;
    • Une stratégie opérationnelle, économiquement réaliste et socialement responsable ;
    • Une approche coopérative  : l’écologie industrielle nécessite la coopération de nombreux agents économiques qui d’habitude s’ignorent ou sont en compétition.

    Dans son ouvrage de référence Vers une écologie industrielle (1998), Suren Erkman, écrivain scientifique, enseignant, fondateur de l’ICAST  et principale référence européenne en matière d’écologie industrielle, évoque en particulier quatre leviers d’action :

    • valoriser systématiquement les déchets comme des ressources
    • minimiser les pertes par dissipation (énergie, émissions polluantes …)
    • dématérialiser l’économie (remplacer les produits par des services, etc.)
    • « décarboniser » l’énergie (énergies renouvelables, économies d’énergies)

    En 2008, l’Atelier de réflexion Prospective en Ecologie industrielle (ARPEGE), commandité par l’Agence Nationale de la Recherche, et qui rassemblait la plus grande part des acteurs français du domaine, issus d’univers divers, a proposé la définition suivante :

    « L’écologie industrielle est une stratégie de développement durable qui s’inspire du fonctionnement quasi cyclique des écosystèmes naturels. Elle s’inscrit dans l’écologie des sociétés industrielles, c’est-à-dire des activités humaines productrices et consommatrices de biens et de services. Elle porte sur l’analyse des interactions entre les sociétés et la nature et sur la circulation des matières et d’énergie qui les caractérisent, ou qui caractérisent les sociétés industrielles elles-mêmes. Ces flux sont analysés d’un point de vue quantitatif, mais aussi d’un point de vue économique et social, dans une perspective systémique. Aussi appelée écologie territoriale ou économie circulaire, elle s’appuie en premier lieu sur l’étude du « métabolisme industriel ou territorial », c’est-à-dire l’« analyse des flux de matières et d’énergie » sous-jacents à toute activité, en réalisant un bilan matière-énergie. Elle recourt également aux calculs d’optimisation et aux analyses de cycle de vie. »

    Une démarche opérationnelle pour mettre en œuvre le développement durable

    Les entreprises ont aujourd’hui intérêt à optimiser la gestion de leurs flux de production, et à améliorer leurs pratiques environnementales. Pour les acteurs publics, une idée-force est de tendre vers des circuits économiques courts, à l’échelle d’un territoire, d’une filière, d’une zone urbaine, d’une zone d’activités… Autant de sous-systèmes industriels dont l’analyse des flux entrants/sortants de matière et d’énergie va permettre de mettre en évidence les synergies potentielles mais également de révéler des opportunités de développement.

    Sur le plan économique, les déchets constituent une manne commerciale significative pour les entreprises, puisqu’ils représenteront à terme une part importante des ressources utilisées par les process industriels, compte tenu de la progression des prix des matières premières. D’autre part les opérations de mutualisation de moyens liées à la massification des flux sont synonymes d’économies d’échelle et de réduction des coûts.Concrètement, la mise en œuvre de démarches d’écologie industrielle peut se traduire par des actions telles que :

    • La valorisation / l’échange de flux industriels (déchets et coproduits, vapeur, chaleur, eaux industrielles, etc.)
    • La mutualisation de moyens et de services (gestion collective des déchets, logistique, transports et achats groupés, plans de déplacements…)
    • Le partage d’équipements ou de ressources (moyens de traitement/valorisation des déchets ou effluents, compétences, emplois en temps partagés, espaces communs, etc.)
    • La création de nouvelles activités, de services, de débouchés ou de filières locales (liés à la valorisation de sous-produits ou à la mutualisation).

    Il peut donc s’agir à la fois de projets d’entreprises, résultant parfois d’une simple mise en relation ou nécessitant une intermédiation, et de projets de territoire, en réponse à des enjeux locaux et faisant potentiellement intervenir les acteurs publics (développement de filières, d’équipements publics…). Enfin, l’expérience montre qu’au-delà de la dimension technique de quantification et d’analyse des flux physiques, la réussite de telles démarches repose fortement sur la capacité de mobilisation, d’échange et de collaboration des acteurs locaux, qu’il s’agisse des entreprises ou des acteurs du développement territorial.

    L’écologie industrielle, quand la coopération fait système…

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    Une méthodologie spécifique : l’analyse des flux de matière et d’énergie

    Le cœur, la spécificité et la valeur ajoutée d’une démarche d’écologie industrielle se situent dansl’analyse croisée des flux de matières et d’énergie d’un ensemble d’activités économiques et du « métabolisme industriel » d’un territoire. C’est cette analyse qui permet de détecter les potentialités et les actions possibles.

    L’analyse des flux de matières ou Material Flow Analysis (MFA) permet de mesurer la pression des activités humaines sur l’environnement. Elle s’intéresse aux grandes familles de flux qui traversent le système industriel : énergies, plastiques, métaux, papier-cartons, matières alimentaires, etc. L’analyse des flux de substances ou Substance Flow Analysis (SFA) procure en outre une information indispensable en vue d’améliorer les performances écologiques (ex. : carbone, azote, phosphore, métaux lourds, etc.). Des indicateurs environnementaux peuvent alors être calculés à la suite de ces bilans, permettant de traduire ces flux en termes d’impacts.

    Par ailleurs, cette analyse peut être menée à deux niveaux : celui d’un panel ciblé d’activités ou d’un périmètre circonscrit, et celui d’un bassin plus large d’activités, d’un territoire régional voir interrégional. Révéler le potentiel synergique pour un ensemble donné d’activités est un exercice différent de celui consistant à réaliser un diagnostic territorial, appelé « métabolisme territorial » portant sur l’évaluation des ressources et des grandes masses de flux, leur origine et leur destination. Dans le premier cas, l’objectif est de rechercher et de caractériser précisément les synergies potentielles entre des acteurs économiques, en vérifiant dans le détail la complémentarité des flux et des composants du système. Dans le second, il s’agit plutôt de doter le territoire d’une vision prospective et stratégique et d’un outil pour identifier les enjeux et orienter l’action publique.

    Parallèlement à l’approche quantitative, le diagnostic se base sur la mise en relation, le dialogue et l’échange direct d’informations entre les acteurs économiques impliqués, et au-delà, avec les acteurs du développement local, afin d’identifier les besoins partagés, des opportunités et des solutions communes, mais aussi des projets de territoire, pouvant impliquer les acteurs publics.

    Ensuite, on évalue les conditions de réalisation des actions envisagées, d’un point de vue technico-économique et réglementaire, mais aussi environnemental et social. Cette faisabilité est évidement à rapporter aux moyens d’action des acteurs directement concernés. D’une manière générale, une « synergie éco-industrielle » est réalisable si elle se révèle adéquate (aux plans qualitatif et quantitatif), possible (plan technique, réglementaire, géographique), plus intéressante pour les différents protagonistes que la situation initiale, et si elle ne présente pas d’implications organisationnelles inacceptables. Il convient par ailleurs de prendre en compte les impacts environnementaux, territoriaux, sociaux et sociétaux des actions envisagées afin de valider leur intérêt au delà de leur valeur économique, ainsi que les risques associés à leur mise en œuvre.


    La méthodologie COMETHE propose des outils génériques visant à appréhender de manière globale l’évaluation de la faisabilité technico-économique, réglementaire et des impacts environnementaux ainsi que l’analyse des risques liée à la réalisation de synergies interentreprises. Néanmoins, chaque cas étant spécifique et selon le degré de complexité rencontré, ces évaluations pourront mobiliser des compétences directement liées aux métiers concernés et des outils professionnels ou nécessiter des études techniques complémentaires.

    La dynamique actuelle

    En 2012, on compte une quarantaine de démarches menées sur le territoire français (en cours, passées ou pérennes). Au début des années 2000, elles étaient moins de dix et dans des formes plus ou moins abouties. La raréfaction des ressources, la hausse du coût des matières premières et de l’énergie et l’évolution du contexte sociétal et réglementaire poussent désormais les acteurs économiques et les acteurs publics territoriaux à s’orienter vers des stratégies de développement durable et à rechercher des démarches leur permettant de traduire ces objectifs de manière opérationnelle. Cette dynamique semble s’amplifier, puisque les projets se multiplient sur le territoire national.

    Au niveau local, de nombreuses collectivités et autres acteurs du développement économique (aménageurs, gestionnaires des parcs d’activités,…) se lancent dans des démarches d’écologie industrielle et financent des missions d’étude et d’accompagnement. Pour ces collectivités, cela constitue aussi un moyen de se rapprocher des entreprises locales et de les inciter à se responsabiliser et à s’organiser ensemble pour développer des solutions communes, par exemple sur la gestion des déchets. A l’échelle régionale, on observe également l’apparition de missions axées sur la réalisation d’études, souvent commandées par les conseils régionaux ou même départementaux, faisant l’état des lieux des flux physiques traversant les territoires.

    Certaines démarches en cours qui paraissent d’une ampleur et d’une ambition intéressantes devraient aboutir à des résultats concrets et encourager la diffusion de l’écologie industrielle sur d’autres territoires en fonction de leurs caractéristiques propres. La multiplication des démarches de terrain a également permis un gain important d’expérience, et donc de compétences, dans la méthodologie et l’accompagnement des projets.

    Enfin, le soutien public à ce type d’initiatives se développe au niveau national. En témoignent notamment la mission « Compétitivité durable des entreprises » initiée par la DGCIS au ministère de l’Economie et menée par l’association Orée sur cinq territoires pilotes ; le projet de recherche COMETHE, soutenu par l’ANR entre 2008 et 2011 s’appuyant lui aussi sur cinq terrains d’expérimentation ; le projet BOUCLE dans le Massif central porté par l’association Maceo et soutenu par le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (Etat) ; les projets initiés dans le cadre du programme « Déchets et société » de l’ADEME ; l’appel à manifestation d’intérêt « Biens et services éco-conçus et écologie industrielle » lancé le 16.12.2011 par l’ADEME dans le cadre des Investissements d’Avenir (axe Economie circulaire). Toutes ces opérations visent à obtenir un effet de levier et à permettre une progression des pratiques et des compétences.

    Des exemples

    L’association ECOPAL travaille depuis 2001 à la détection et à la mise en œuvre de synergies sur le territoire dunkerquois. Elle rassemble plus d’une centaine d’entreprises de la zone industrielle des Deux Synthe, la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Côte d’Opale, la Communauté Urbaine de Dunkerque, le département du Nord, la Région Nord-Pas de Calais ainsi que l’ADEME, la DIRECCTE, l’Agence Nationale de la Recherche, l’Agence de l’Eau Artois Picardie.

    ECOPAL a réalisé un Inventaire des Flux Industriels de Matières sur la période 2008-2010, en lien avec le projet COMETHE, afin d’identifier plus largement le potentiel et les opportunités de synergies entre les entreprises (cf. recensement de tous les flux entrants et sortants à l’échelle du Dunkerquois mais aussi du Calaisis et du Boulonnais, via d’autres clubs d’entreprises agissant comme relais). Pas moins de 150 entreprises ont déjà participé à la démarche qui a abouti à l’élaboration d’une base de données de 5 000 flux, ce qui a permis d’identifier une trentaine de pistes de valorisation (concernant près de 50 entreprises) et de nombreuses possibilités de mutualisation de services et de moyens.

    Début 2012, ECOPAL étudie et accompagne plusieurs actions dont des achats groupés de papier bureau, la collecte et l’identification de filières de valorisation de proximité pour les déchets fermentescibles et un entretien mutualisé des séparateurs hydrocarbures.

    Les synergies existantes sur le territoire dunkerquois (source Ecopal)

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    Lancé en 2003 et devenu association en 2008, le Club d’Ecologie Industrielle de l’Aube (CEIA) a d’abord permis de sensibiliser les industriels et les décideurs politiques du département à la définition de ses objectifs et à l’appropriation du projet par les acteurs opérationnels locaux. Un premier travail d’évaluation de potentiel de mise en œuvre de synergies d’écologie industrielle a permis de réaliser le métabolisme industriel d’une trentaine d’entreprises et d’identifier de nombreuses pistes de synergies. Depuis 2008, et notamment dans le cadre du projet COMETHE, différentes synergies sont proposées comme un projet de récupération des calories des effluents d’un industriel papetier, en collaboration avec le Centre Technique du Papier.

    Le Club d’Ecologie Industrielle de l’Aube a suscité la mise en œuvre d’une synergie d’écologie industrielle portant sur le sable issu du lavage des betteraves de sucrerie Cristal Union d’Arcis sur Aube (6 000 à 12 000 t/an) dans le nord du département. Depuis 1964, ce sable était épandu dans les champs alentours dans un rayon de 30 km. La synergie retenue consiste à le valoriser dans le secteur des travaux publics (cf. Appia Champagne). Ainsi, la filière d’élimination du sable de la sucrerie est pérennisée et réduit ses coûts. De plus, Appia Champagne a trouvé un substitut à un matériau vierge, ce qui lui permet d’allonger la durée de vie de ses carrières. Enfin, les deux entreprises ont décidé de mutualiser le transport : les camions qui transportent le sable de la sucrerie au chantier de travaux publics sont entrés chargés de betteraves, ce qui correspond à un gain économique et environnemental (émissions évitées de gaz à effet de serre).

    A Lagny-sur-Marne (77), dans la zone portuaire, Yprema utilise des mâchefers pour fabriquer des fonds de routes dits « éco-graves » pour des entreprises de travaux publics et rejette de l’eau usée. A Saint-Thibault-des-Vignes, dans la même zone portuaire, le syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères (Sietrem) produit des mâchefers issus de l’incinération des déchets ménagers et consomme de l’eau industrielle pour leur refroidissement.


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    © Yprema


     Les freins

    La mise en place d’une démarche d’écologie industrielle peut se heurter à des freins liés à la méconnaissance des flux dans sa propre structure, à la difficile transmission des informations ou à des contraintes réglementaires, techniques, voire locales.

    Certaines entreprises connaissent parfois peu ou mal leurs différents flux, leur composition physico-chimique, etc. Or ce type d’informations est nécessaire pour réaliser des bilans matière/énergie qui, ensuite, permettront d’identifier des opportunités communes par croisement des bilans d’entreprises.

    Autre point, les acteurs économiques communiquent peu et connaissent souvent mal leur environnement économique immédiat et leurs relations sont plus souvent marquées par une culture de concurrence plutôt que de coopération. En outre, les informations qu’il est nécessaire de partager pour identifier des actions interentreprises (bilans de flux de matière et d’énergie, données stratégiques, problématiques réglementaires et de gestion des déchets,…) sont parfois considérées comme sensibles voire confidentielles, d’où parfois une certaine réticence à se prêter à l’exercice.

    Sur le plan réglementaire, les contraintes liées au statut des déchets, aux installations classées (ICPE) ou encore au transport des déchets peuvent entraîner des démarches administratives susceptibles de décourager les acteurs et de freiner la valorisation.
    Sur le plan technique, la valorisation des déchets, effluents et produits connexes peut être simple ou au contraire complexe selon les cas. Ainsi, les flux en question doivent parfois être adaptés avant de pouvoir être réutilisés, d’où la nécessité de prendre en compte des facteurs cruciaux comme la teneur en substance recyclable, le calibrage ou encore la compatibilité en termes de volume, de qualité ou de régularité du flux.

    Enfin, des éléments propres à chaque territoire s’avèrent souvent déterminants pour la bonne conduite de ces démarches : contexte économique et industriel, enjeux environnementaux, culture de la coopération, maturité des acteurs économiques, vision politique et degré d’ambition des acteurs publics vis-à-vis du développement local, etc.

     Les leviers

    Un levier important de succès est d’assurer une animation de projet soutenue auprès des entreprises et entre elles pour s’assurer de leur participation active et de la prise de conscience de l’intérêt de mettre en œuvre des solutions communes. Ce rôle revient au porteur de projet (collectivité locale, association d’entreprises…) qui doit détenir la légitimité à la fois pour fédérer les partenaires techniques et financiers du projet et mobiliser les entreprises.
    Pour assurer une collecte de qualité des informations, les visites de site sont souvent utilement complétées par des entretiens avec les responsables de site, de production, responsables QSE,… Des accords de confidentialité peuvent être mis en place pour éviter l’écueil lié à la volonté de ne pas communiquer certaines données jugées trop confidentielles (cela a déjà été le cas dans plusieurs projets).

    Enfin les évolutions réglementaires devraient aussi avoir un effet incitatif (ex. : en France, transposition fin 2010 de la Directive-cadre « Déchets » n° 2008/98 encourageant la valorisation par recyclage, réemploi ou récupération et la valorisation énergétique ; en Chine, loi sur l’économie circulaire adoptée en août 2008 ; en Suisse, loi sur l’action publique en vue d’un développement durable du Canton de Genève en mai 2001…).

     Le cadre réglementaire

    Le corpus réglementaire national et communautaire n’est pas encore adapté pour le développement des démarches d’écologie industrielle bien que la transposition en France fin 2010 de la Directive-cadre Déchets de 2008 favorise un peu plus la valorisation des coproduits en matière première secondaire. La réglementation encadre de manière cloisonnée la gestion des différents flux sortant d’une entreprise (effluents gazeux, liquides, déchets,…) et s’avère parfois très contraignante quant à leur traitement (ex. : huiles). Le statut des déchets peut nécessiter une autorisation au titre de la nomenclature ICPE. La longueur et la difficulté des procédures nécessaires sont susceptibles de décourager les industriels. Ainsi, la plupart des synergies éco-industrielles de substitution se confrontent au droit des déchets et aux rubriques associées de la nomenclature des ICPE.

    D’autres rubriques de la nomenclature peuvent être mobilisées lorsque des installations de transformation sont nécessaires ou lorsque des moyens sont mis en commun et créent un dépassement des seuils précédemment autorisés. Tout déplacement de substances est soumis à la réglementation des transports et au traçage grâce au registre de suivi des déchets et au bordereau de suivi des déchets dangereux, quelle que soit la quantité transportée. Enfin, la montée en puissance de la responsabilité du producteur de déchet oblige celui-ci à redoubler de vigilance sur les valorisations envisagées.

    Le Grenelle a donné lieu à un groupe de travail intitulé « Economie circulaire », auquel l’association Orée a participé et qui a abouti à diverses recommandations en vue de favoriser le développement de l’écologie industrielle et territoriale sur le plan national. Par ailleurs, le décret du 11 juillet 2011 relatif à la prévention et à la gestion des déchets assure la traduction réglementaire de plusieurs dispositions de la loi dite « Grenelle 2 » notamment en termes de planification des déchets, de limitation des capacités des installations d’incinération et de stockage et de tri des bio-déchets.

    L’ordonnance du 17.12.2010 qui transcrit la Directive-cadre Déchets de 2008 permet à certains déchets devenus ressources d’être extraits de leur contraignant statut juridique. Et le décret du 11.07.2011 consacre au plan réglementaire la distinction des déchets selon leur dangerosité et non plus selon leur origine. Les déchets ménagers comme les déchets d’activités économiques peuvent être classés dangereux ou non suivant les propriétés de dangers qu’ils présentent. La nouvelle hiérarchie dans les modes de traitement des déchets prévue par la directive est également consacrée, favorisant une part accrue de la valorisation et le passage d’une logique d’élimination à une logique de prévention et de gestion (cf. remplacement du terme « élimination » par les termes « gestion » ou « traitement » dans l’ensemble du Code de l’environnement).

     A l’international

    Les pionniers en la matière sont les Etats-Unis et le Canada dont, notamment, le Québec, via le CTTEI. En Europe, certains pays ont véritablement fait de l’écologie industrielle un outil de développement territorial et économique : c’est le cas de la Belgique, de la Suisse ou de la Grande Bretagne avec le NISP. Des expériences sont également reconnues en Allemagne, en Suède et, bien sûr, au Danemark avec la symbiose de Kalundborg. L’Asie n’est pas en reste avec, en Chine, la loi sur l’Economie circulaire et en Inde, la Resource Optimization Initiative (ROI). La carte ci-dessous présente un panorama non exhaustif des pays avancés dans des démarches d’écologie industrielle.


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    En Inde, la Resource Optimization Initiative (ROI) est notamment à l’origine de la réalisation du métabolisme de l’industrie textile locale dans la ville de Tirupur. L’étude menée dès 1996 a débouché sur un certain nombre de préconisations, principalement axées sur la préservation et l’économie des ressources en eau.

    Créé en 1999 au Québec, le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI) fait la promotion de l’écologie industrielle auprès des entreprises via des formations, la coordination de projets et l’apport d’expertise sur la valorisation des matériaux.

    Dans le Canton de Genève, l’article 12 « Ecosite » de la Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable adoptée le 23 mars 2001 (cf. Agenda 21) stipule que «  l’Etat de Genève s’engage à favoriser la prise en compte des synergies entre activités économiques en vue de minimiser leur impact sur l’environnement  ». Le Canton a ainsi été la première collectivité à donner une base légale à cette démarche pionnière et innovante.

    Lancé en 2005 en Grande-Bretagne, le National Industrial Symbiosis Programme (NISP), d’ampleur nationale, est soutenu par l’Etat via le Department of Trade and Industry. Basé sur douze antennes régionales, il vise à faciliter la mise en œuvre de synergies interentreprises.

    En Chine, la loi sur l’économie circulaire du 29 août 2008 prévoit une promotion de l’écologie industrielle via des actions de prévention, de planification de l’aménagement, de recyclage/réutilisation, de développement de la R&D ainsi que la création d’un bureau de l’économie circulaire. L’article 29 précise même : «  un parc ou une zone industrielle doivent organiser les entreprises pour permettre l’utilisation globale des ressources afin de promouvoir le développement de l’économie circulaire ».

    L’écologie industrielle, définie par Robert Frosch (1995) comme « l’ensemble des pratiques destinées à réduire la pollution industrielle », nous amène à penser que l’écosystème industriel peut être un véritable vecteur du développement durable. L’ingénierie écologique et l’écotechnologie recommandent aux industriels de procéder à un ensemble d’opérations de rationalisation de la production (optimisation des consommations énergétiques et matérielles, minimisation des déchets à la source,réutilisation des rejets pour servir de matières premières à d’autres processus de production). Les symbioses industrielles et les parcs éco-industriels sont généralement présentés comme des modèles de rationalisation industrielle et des illustrations tangibles du développement durable.

     Voici Robert Alan Frosch :

    Robert Alan Frosch
    Dr. Robert A. Frosch - GPN-2002-000086.jpgRobert A. Frosch

    La prise de conscience de la portée des problèmes écologiques de la planète a pris une dimension mondiale depuis la conférence des Nations Unies sur l’environnement humain, organisée en 1972 à Stockholm. Les années qui ont suivi ont vu la naissance d’un mouvement écologique international, l’émergence de milliers d’organisations écologiques locales et la prolifération dans bien des pays à travers le monde de lois et de réglementations concernant l’environnement. La fin du XXèmesiècle a toutefois constitué le théâtre d’affrontements entre deux disciplines en complète opposition, l’économie et l’écologie (Vivien 1994).

    Les économistes analysent l’évolution de la croissance (principalement le PIB) en s’appuyant sur des estimations de la consommation des ménages, de l’investissement des entreprises, du déficit public et des termes de l’échange (exportations, importations). Leur point de vue prédomine dans le monde de l’industrie et des finances, ainsi qu’au sein des gouvernements et des agences internationales de développement (Banque Mondiale, FMI, CNUCED…). L’écologie ne représenterait qu’une sous discipline mineure de l’économie (certains l’associentà l’économie des ressources naturelles et/ou l’économie de l’environnement) qui doit être intégrée dans les modèles (Diemer 2005). Les écologistes étudient quant à eux les rapports complexes et toujours changeants qui lient les organismes vivants à leur environnement. Cette vision, rappelle Nicholas Georgescù-Roegen (1977a, p. 13) procède de « la biologie et de la thermodynamique »mais est également influencée par d’autres disciplines telles que l’agronomie, l’hydrologie, la démographie… Pour l’écologiste, la croissance est limitée par les paramètres de la biosphère. L’économie ne serait qu’un secteur étroit de l’écosystème global. Les activités économiques croissantes de l’humanité ne pouvant être séparées des ressources et des systèmes naturels dont elles dépendent en dernier ressort, toute activité qui sape l’écosystème global ne pourrait se poursuivre indéfiniment.

    • 1 F.D Vivien (2005) parle de « développement soutenable ».

    3Longtemps séparées, les questions d’économie et d’écologie sont devenues inextricablement liées pour définir ce que l’on appelle aujourd’hui le développement durable (Brunel 2004 ; Bourg, Rayssac 2006). Cette expression est entrée dans le vocabulaire courant à la suite du rapport Brundtland (1987) — le développement durable correspond au « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » — mais, pour beaucoup1, le sens et l’apport du développement durable restent encore obscurs (Bourg 2002 ; Smouts et al. 2005). Deux courants de pensée sont généralement évoqués lorsqu’il s’agit de revenir sur les origines de ce concept (Dannequin, Diemer, Vivien 1999a). Le premier se range sous la bannière de l’écologie industrielle (Frosch, Gallopoulos 1989, Erkman 1998). Le second, plus difficile à cerner, puisqu’il n’apparaît pas en tant que tel, regroupe un certain nombre d’auteurs, comme Ivan Illich (1973, 1975), André Gorz (1978, 1988) ou Nicholas Georgescu-Roegen (1978, 1993), que l’on range dans les rangs de l’écologie politique (Bourg 1996 ; Dannequin, Diemer, Vivien 1998).

    • 2 Pour une comparaison écologie industrielle – écologie politique, voir Dannequin et al. (2000), Vivi (...)

    4L’objet de cet article est de clarifier le concept de développement durable en l’examinant plus particulièrement sous l’angle de l’écologie industrielle2. Les tenants de l’écologie industrielle (Ayres 1993, Frosch 1995, Graedel 1996, Erkman 1998) ont précisé que cette dernière se proposait de donner un contenu opérationnel à la notion de développement durable. Robert Frosch (1995, p. 148) associe l’écologie industrielle à « l’ensemble des pratiques destinées à réduire la pollution industrielle » et Suren Erkman (1998) a matérialisé cette idée par un sous-titre évocateur « mettre en pratique le développement durable dans une société hyper-industrielle ». L’écologie industrielle peut être présentée comme une nouvelle pratique du management environnemental. Elle répond aux besoins des entreprises, qui sous la pression des lois, des règlements, des normes et de la concurrence, cherchent à intégrer l’environnement à leurs stratégies. L’écologie industrielle (Frosch, Gallopoulos 1989, Erkman 1998), l’ingénierie écologique ou l’écotechnologie (Mitsch, Jorgensen 1989) recommandent ainsi aux industriels de procéder à un ensemble d’opérations de rationalisation de la production (optimisation des consommations énergétiques et matérielles, minimisation des déchets à la source,réutilisation des rejets pour servir de matières premières à d’autres processus de production). L’écosystème industriel deviendrait dès lors un véritable vecteur du développement durable.

    5Afin de saisir la réelle portée de ce programme, nous procéderons en deux étapes. Dans un premier temps, nous évoquerons la démarche et les grands principes de l’écologie industrielle. De nature interdisciplinaire,l’écologie industrielle donne une vision globale et systémique des interactions entre la société industrielle et la biosphère. Elle s’appuie principalement sur le métabolisme industriel (analyse des flux de matières, bilans matière-énergie, matrice input-output, évaluation du cycle de vie…) et les lois énergétiques du monde physique. Dans un second temps, nous présenterons la symbiose de Kalundborg et l’émergence des parcs éco-industriels. Ces modèles de rationalisation de l’écologie industrielle sont des illustrations tangibles du développement durable.

    1. De l’écologie industrielle au développement durable

    6L’écologie industrielle n’a été véritablement reconnue et institutionnalisée qu’à la suite du colloque de Washington (mai 1991), parrainé par la National Academy of Science, et de la publication dès 1997 d’une revue spécialisée intitulée the Journal of Industrial Ecology (Lifset 1997). Pourtant, dès 1989, certains travaux d’ingénierie précisaient déjà que l’écologie industrielle pouvait être pensée comme une réponse des entreprises à la question du développement durable (Ehrenberg 2004 parle aujourd’hui de « science of sustainability »). Par analogie, le système industriel est associé à un écosystème biologique dont il convient d’analyser les flux de matière (métabolisme industriel) et les prédispositions aux lois énergétiques du monde physique.

    1.1. L’écologie industrielle, une réponse des entreprises à la question du développement durable

    • 3 Par ses relations avec le monde industriel et plus particulièrement l’industrie automobile (Tukker(...)
    • 4 L’écologie industrielle ne se limite pas au secteur automobile. Elle touche toute la communauté des(...)

    7La notion « d’écologie industrielle » a été définie en 1989, dans un numéro spécial de la revue « Scientific American » (Pour la Science en français) consacrée à la « gestion de la planète Terre ».Dans un article intitulé « Des stratégies industrielles viables »,Robert Frosch et Nicolas Gallopoulos, tous deux responsables de la Recherche chez General Motors3, développent l’idée selon laquelle il devient nécessaire de recycler les biens usagés, d’économiser les ressources et de rechercher des matières premières de remplacement4. L’accumulation des déchets et la pollution générée par le progrès technique les conduisent à remettre en cause le modèle de développement des économies industrielles et à formuler la notion d’écosystème industriel : « Ainsi dans un système industriel traditionnel, chaque opération de transformation, indépendamment des autres, consomme des matières premières, fournit des produits que l’on vend et des déchets que l’on stocke. On doit remplacer cette méthode simpliste par un modèle plus intégré : un écosystème industriel » (1989, p. 106). Frosch et Gallopoulos précisent qu’un écosystème industriel pourrait fonctionner comme un écosystème biologique. Les végétaux autotrophes assimilent, par photosynthèse ou chimiosynthèse, des éléments du monde minéral qui se trouvent ainsi intégrés sous une forme réduite dans des molécules organiques ; de l’énergie est investie dans ces composés. Les animaux et les végétaux hétérotrophes sont tributaires des précédents et constituent des chaînes trophiques où, de mangeur en mangé, on assiste à un transfert de matière et d’énergie dans le monde vivant. Dans son ouvrage « Vers une écologie industrielle », Suren Erkman (1998, p. 22) souligne que l’article de Frosch et Gallopoulos a joué « le rôle de catalyseur », de sorte que plusieurs interprétations ont donné lieu à un grand nombre de définitions de l’écologie industrielle.Les années 1990 se sont donc cantonnées à stabiliser le vocabulaire d’un courant de pensée en pleine ébullition.

    Le champ de l’écologie industrielle

    8Si les nombreuses interprétations des travaux de Frosch et Gallopoulos n’ont pas permis de déterminer une définition standard de l’écologie industrielle, il semble quela plupart des auteurs (Schulze, Frosch, Risser 1996, Lifset 1998, Ehrenfeld 2004, Erkman 2006) qui se rattachent à ce courant de pensée soient d’accord sur les quatreidées suivantes :

    • 5 Tilley (2003) distingue deux disciplines qu’il nomme « Industrial ecology » et « Ecological Enginee(...)
    • 6 Les deux principes de la thermodynamique (échange et transformation de l’énergie et de la matière) (...)
    • 7 Ce qui caractérise la typologie des écosystèmes d’Eugène Odum, c’est l’alternative entre l’énergie (...)
    • 8 Les écosystèmes sont soumis à 40 principes. Le principe 0 correspond à une description, une analyse (...)
    • 9 Le rapport « Halte à la croissance » (1973)s’appuiera sur l’approche systémique.
    • 10 Huppes et Ishikawa (2005, p. 27) ont identifié quatre types d’éco-efficience : « The first two are (...)

    9i) L’écologie industrielle fait appel en priorité à l’écologie scientifique, aux sciences naturelles (le monde biophysique) et aux sciences de l’ingénieur (Schulze 1996). Par écologie scientifique, Suren Erkman (1998, p. 10) entend opposer la démarche du chercheur à la contestation politique : « contrairement à la plupart des discussions actuelles sur les questions d’environnement, l’écologie industrielle ne s’aventure pas sur le terrain de l’écologisme politique : elle ne fait preuve ni de catastrophisme, ni de son symétrique inverse, l’optimisme technologique à outrance ». L’écologie serait devenue une véritable science suite à la progression de la thermodynamique des phénomènes irréversibles de Prigogine (1968), à la présentation d’une typologie  des écosystèmes par Eugène Odum (1983) et à l’évocation de lois« scientifiquement » vérifiées par Kenneth Watt (1973). Les sciences naturelles rappellent qu’un écosystème « is biotic assemblage of plants, animals, and microbes, taken together with their physico-chemical environment » (Kormondv 1969, p. 7). Au sein d’un écosystème, des êtres différents (des producteurs, des consommateurs et des décomposeurs) ont des relations entre eux et avec le milieu minéral (cycles biochimiques). Ces interactions incessantes feront lentement évoluer l’écosystème jusqu’à ce qu’un équilibre stable puisse être atteint entre les divers constituants (Odum 1976). Les sciences de l’ingénieur précisent quant à elles que si le mot écosystème apparaît pour la première fois dans les travaux du botaniste A.G Tanley (1935), son émergence est due au succès de différentes théories : la cybernétique de Wiener (1948), la théorie de l’information de Shannon (1949) et l’analyse systémique de Forrester (1965). L’art de l’ingénieur consiste « to produce a solution that works in the real world, with all the contraints that task entails. Such contraints may be competitive, ergonomic, regulatory, economic and temporal » (Allenby, Allen, Davidson 2007, p. 8). Il s’agit de résoudre des problèmes environnementaux en mettant en place des procédés industriels optimisés : la transformation des dérivés du pétrole en matériaux polymères, la transformation du minerai de fer en acier, le raffinage des métaux de la famille du platine (Frosch, Gallopoulos [1989]). L’ingénieur accorde une certaine importance au calcul économique. L’Eco-efficiency est un instrument de l’analyse du développement durable, établissant une relation empirique entre le coût (la valeur) environnemental et l’impact environnemental des activités économiques (Ehrenfeld, 2005).

    • 11 Esty et Porter considèrent que “the systems perspective that industrial ecology promotes can help c(...)
    • 12 Andrew (2000) cherche à construire les fondements micro de l’écologie industrielle.
    • 13 DiMaggio et Powell définissent lechamporganisationnel « as a recognized aera of institutional lif (...)

    10ii) L’écologie industrielle doit pouvoir mobiliser des disciplines diverses, telles que les sciences économiques, juridiques et sociales. Boons et Roome (2000) insistent sur le fait que l’écologie industrielle étant devenue un phénomène culturel, elle ne peut plus se contenter d’un discours scientifique (l’objectivité du chercheur et de l’ingénieur), elle doit prendre des positions normatives. Ils proposent ainsi « an agenda of research on the cultural and ideological aspects of industrial ecology” (2000, p. 49). De son côté, Isenmann (2002) part du principe que l’écologie industrielle est une philosophie qui prend la nature comme modèle. Il conclut que “a set of arguments drawing on the philosophy of science and on Kantian epistemology and philosophical anthropology is provided to gain greater conceptual clarity and to contribute to laying a solid foundation for industrial ecology's stimulating role in achieving sustainability at large” (2002, p. 27). Enfin, Wells et Orsato (2005) avancent qu’en dépit de ses fondations scientifiques, l’écologie industrielle peine encore à cerner les conditions sociales, environnementales et économiques du développement durable. Un moyen d’enrichir le concept d’écologie industrielle consisterait à se tourner vers les sciences de gestion (la logique de réseaux et la mise en place d’une supply chain posent la question des liens, des relations, des mécanismes de coordination et de la compétitivité11) ; les sciences économiques12 (les économies d’échelle et la localisation redéfinissent les termes de la concurrence) et les sciences sociales (Wells et Orsato 2005, p. 16) insistent notamment sur le concept de champ organisationnel - « Organizational field13 » - contexte dans lequel les organisations sont socialement imbriquées, l’encastrement de Granovetter 2000).

    • 14 Dans un écosystème parfait, le seul input est l’énergie solaire. Toutes les autres matières sont re (...)

    11iii) Si un système industriel peut fonctionner comme un écosystème biologique, il ne faut pas prendre cette analogie « au pied de la lettre ». Frosch et Gallopoulos (1989, p. 106) ont ainsi souligné que « l’on ne parviendra jamais à établir un écosystème industriel parfait14 ». Ayres (1995) précise qu’il existe des différences importantes entre les organismes biologiques et les unités élémentaires du système industriel, en l’occurrence les entreprises. Si les organismes biologiques sont capables de se reproduire,les firmes ne produisent que des produits ou des services, elles ne peuvent pas produire d’autres entreprises. Par ailleurs, contrairement aux organismes vivants qui évoluent selon un processus temporel long et lent, les entreprises peuvent modifier rapidement leur activité ou/et leurs produits. Levine (2003, p. 33) note une différence fondamentale entre le système biologique et le système industriel : « Products, that is, goods and services exchanged for something of value, are characteristic of industrial systems, but relatively rare in the ecological system ». Ainsi pour reprendre les termes de Suren Erkman (1998, p. 9),on peut décrire le système industriel comme « une certaine configuration de flux et de stocks de matière, d’énergie et d’information, tout comme les systèmes biologiques». Braden Allenby (1994) a exploré le champ de l’écologie industrielle en s’appuyant sur les connaissances propres à l’évolution de la vie sur Terre.La terminologie suggérée par Allenby renvoie à la présence d’écosystèmes de type I, II et III. L’écosystème de type I s’appuie sur un processus linéaire dans lequel les matières premières et les déchets sont illimités. Il n’y aucune activité de recyclage. Les produits industriels sont utilisés de façon frivole, puis rejetés dans l’environnement.Dans l’écosystème de type II, les organismes vivants sont interdépendants et forment des réseaux d’interactions complexes. Cet écosystème est plus efficace que celui du type I, cependant il n’est pas viable à long terme : la diminution des ressources (matières premières) contraste avec l’augmentation inexorable des déchets (Jelinski et al. 1992). L’écosystème de type III a évolué jusqu’à fonctionner de manière entièrement cyclique. Seule l’énergie solaire constitue un intrant. La société industrielle « devrait s’approcher autant que possible d’un écosystème de type III » (Erkman 1998, p. 36).

    • 15 Frosh et Galloupolos (1989, p. 107) soulignaient déjà que « la prise de conscience écologique devra(...)

    12iv) Le concept d’écologie industrielle repose sur trois principaux éléments. (1) C’est une vision globale, intégrée, de tous les composants du système industriel et de leurs relations avec la Biosphère. Il s’agit de tirer parti des connaissances sur les mécanismes et le fonctionnement des écosystèmes afin de produire un savoir stratégique (Erkman 1997). Le triptyque (technologie, écologie, économie) apparaît sous la forme d’une quantification des aspects biophysiques (masse, énergie, information) des systèmes de production et de leur interaction avec les systèmes naturels (Koenig, Cantion 1999). (2) La totalité des flux et des stocks de matière, d’énergie et d’informations liés aux activités humaines, constitue le domaine d’études de l’écologie industrielle. Tilley (2003, p. 30) entrevoit l’émergence d’un « eco-system information engineering » capable de créer des systèmes de connaissances et des cycles d’informations susceptibles d’apporter une réponse au management des sociétés industrielles et de services. (3) La dynamique technologique s’avère être un facteur crucial pour favoriser la transition du système industriel actuel vers un système viable15 (Ausubel, Sladovich 1989), inspiré par le fonctionnement de l’écosystème biologique. Sur la base d’une étude comparée des fondements (métaphore, approche disciplinaire, position normative, objectifs, perspectives, méthodes et processus) de l’écologie industrielle et de l’innovation, Randles et Berkhout (2006) ont été amenés à supposer l’existence d’une interface entre les deux concepts. La validité et la compatibilité des métaphores (sciences physiques vs sciences sociales) ; la question des échelles (globale, régionale, locale) ; la conceptualisation de la connaissance, de l’information et la compréhension des échecs d’information ; les hypothèses relatives à la théorie de l’agence et au rôle de l’agent ont été étudiées afin de fournir un véritable programme de recherche.

    13Au-delà de ces spécificités, l’écologie industrielle doit relever un quadruple défi : valoriser les déchets (passer des « bads » aux « goods ») ; boucler les cycles en minimisant les rejets ; dématérialiser les produits (accroître la productivité des ressources) et procéder à la décarbonisation de l’énergie (évolution vers un système industriel moins gourmand en énergie fossile).

    Ecologie industrielle et métabolisme industriel

    • 16 Daniels (2001, 2002) a comparé les dimensions physiques de neuf systèmes économiques afin de quanti (...)
    • 17 Fischer-Kowalski, Hüttler (1998, p. 107) ont proposé une classification du métabolisme en retenant (...)
    • 18 Moll, Norman, Kok et alii (2005) ont analysé le concept de « Household metabolism » en l’introduisa (...)

    14Si l’écologie industrielle cherche à s’approcher le plus possible d’un écosystème « viable » à long terme, il devient nécessaire de cerner quantitativement et qualitativement la dimension physique des activités économiques, à savoir les flux et les stocks de matières inhérents à toute activité industrielle (Daniels16 2001, 2002). Cette démarche renvoie à une approche apparue à la fin des années 1980 : l’étude du métabolisme industriel (Ayres 1989). Le concept de « métabolisme » s’applique généralement à une plante ou un animal17. Ayres et Simonis (1995, p. 1) le définissent comme “the totality of internal processes - both physical and chemical - that supply the energy and nutrients required by an organism as the conditions of life itself”. Ces processus peuvent être décrits en termes de transformations d’inputs (énergie solaire, énergie chimique, eau, air) en biomasse (la substance de l’organisme vivant) et en déchets. Par analogie, le métabolisme industriel18est « l’étude des ensembles des composants biophysiques du système industriel. Cette démarche, essentiellement analytique et descriptive, vise à comprendre la dynamique des flux et des stocks de matière et d’énergie liées aux activités humaines, depuis l’extraction et la production des ressources jusqu’à leur retour inévitable, tôt ou tard, dans les processus biogéochimiques » (Erkman 1998, p. 10). En d’autres termes, c’est tout simplement l’ensemble des transformations physico-chimiques qui permettent de passer des matières premières (biomasse, minéraux, métaux, pétrole) aux biens manufacturés et aux déchets (Lynd, Wang 2004). Les économistes parlent de processus de production. La transformation des biens en services introduit cependant un second terme économique, la consommation. De là, le métabolisme industriel comprend tous les flux de matière et d’énergie qui permettent au système économique de fonctionner, c'est-à-dire de produire et de consommer (Hertwich 2005).

    15Vu sous cet angle, le système économique humain occuperait une place à part à l’intérieur du système naturel de la Terre. L’anthroposphère est seulement une partie de la biosphère, elle-même en équilibre dynamique avec le soleil, l’air (l’atmosphère), les océans (l’hydrosphère) et la croûte terrestre (lithosphère). Durant l’ère préindustrielle, l’anthroposphère était plus ou moins en équilibre avec la biosphère et les autres éléments du système terrestre (Husar, 1995). Les humains faisaient partie d’un écosystème naturel, les animaux étaient chassés pour la nourriture et leur peau. Les déchets étaient recyclés par un processus naturel. Même les minerais et les métaux utilisés pour confectionner des armes, des outils ou des pièces, ont été recyclés pendant des millénaires. La révolution industrielle du XVIIIème siècle et l’arrivée des machines à vapeur auraient changé radicalement cette situation. L’exploitation intensive des énergies fossiles et la non prise en compte des contraintes environnementales seraient devenues les moteurs de l’évolution des sociétés humaines. Ayres (1995) précise qu’il existe trois niveaux d’abstraction du concept de métabolisme industriel. A un premier niveau, le métabolisme industriel est un ensemble de processus physiques qui transforment les matières premières et l’énergie, plus le travail en produits finis et en déchets. L’offre n’est pas autorégulée. Le contrôle du système est réalisé par la composante humaine.Elle peut exercer un contrôle direct (à travers l’input travail, facteur de production) ou indirect (en tant que consommateur d’output). Le système économique est ainsi stabilisé, au moins dans une structure de marché concurrentielle et décentralisée, lorsque l’offre et la demande de produits (et de travail) sont égalisées selon un mécanisme de prix. De là,le système économique est, par essence, un « metabolic regulatory mechanism” (Ayres 1995, p. 6). A un second niveau, le concept de “métabolisme industriel” renvoie à l’unité élémentaire de l’organisation industrielle, la firme ou l’entreprise manufacturière. Cette dernière est ainsi présentée comme l’unité standard dans la théorie économique. Dès lors, un système économique est « a collection of firms, together with regulatory institutions and worker-consumers, using a common currency and governed by a common political structure” (ibid.).Enfin, à un troisième niveau, le métabolisme industriel focalise son attention sur le cycle de vie des matières et des produits. Or, si la nature est caractérisée par les cycles fermés du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène (Ayres et alii 1996) dans lesquels les processus biologiques jouent un rôle majeur, les firmes font partie d’un système industriel ouvert qui transforme des matières premières et de l’énergie fossile en produits finis et en déchets (Ayres 1999).

    • 19 En France, c’est la Loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (LNRE) de 2001 qui impose aux ent (...)

    16La méthodologie du métabolisme industriel consiste donc « à établir des bilans de masse, à estimer les flux et les stocks de matière, à retracer leurs itinéraires et leur dynamique complexes, mais également à préciser leur état physique et chimique » (Erkman 1998, p. 56). Au sein même des entreprises, cette comptabilisation est réalisée sous la formed’une matrice input-output (Leontief 1936) et d’une analyse de cycle de vie. Ces « bilans environnementaux » permettent de contrôler les échanges, de connaître le niveau auquel ils se produisent, de savoir comment ils se structurent et comment ils déstructurent l’environnement (Esquissaud 1990). Même si la difficulté de l’étude réside dans la diversité des modalités d’émission des rejets (illustration des pratiques agricoles, Moolenaar 1998, 1999) et la prise en compte des effets de synergie (interactions entre diverses sources de pollution), les bilans environnementaux peuvent s’appuyer sur trois rubriques (Vigneron 1990, p. 18) : (1) une forme descriptive de l’activité industrielle incluant les procédés de fabrication et leurs caractéristiques ; (2) une quantification à l’aide d’un inventaire des éléments non monétaires (quantités d’effluents émises, nuisances dans l’air, le sol et l’eau…) et des éléments monétaires (flux de matières premières, quantités produites, investissements, patrimoine bâti et non bâti de l’entreprise…) ; (3) à partir de ces données, une analyse des contraintes législatives, techniques, financières, économiques et commerciales qui expliquent l’attitude de l’entreprise face à la question de l’environnement. Si un nombre suffisant d’entreprises19 s’attachent à publier un tel bilan, il sera alors possible d’établir un diagnostic précis de l’état de l’environnement et de surveiller, quantitativement et qualitativement, un élément dont la dégradation est difficilement réversible (Haberl 2001).Le métabolisme industriel pourrait ainsi devenir un outil indispensable pour les responsables politiques, administratifs et économiques, concernés par une gestion optimale des ressources et du territoire, et la planification d’un « développement socio-économique viable » (Erkman 1998, p. 78). Il permettrait non seulement d’optimiser les ressources existantes mais également de détecter des ressources sous utilisées (ou non utilisées) pouvant générer de nouvelles activités.

    1.2. Ecologie industrielle, thermodynamique et programme bioéconomique

    17Si l’écologie industrielle et le métabolisme industriel renvoient tous deux à la notion d’ « écosystème humain » — c'est-à-dire à un écosystème où le rôle de l’homme est dominant — ce dernier n’échappe pas aux lois énergétiques du monde physique. A la différence des écosystèmes naturels, qui se caractérisent par un flux d’énergie solaire en quantité illimitée et par un recyclage des déchets, les écosystèmes industriels sont traversés par un flux d’énergie fossile provenant d’une source limitée et produisent de façon irréversible des matériaux non recyclés (Vigneron 1990). A ce stade de l’analyse, il convient de revenir sur la littérature scientifique des années 1970, et notamment sur les travaux « précurseurs » de Nicholas Georgescù-Roegen (NGR). Ces travaux se situent au carrefour de la vision thermodynamique du monde, présentée par Sadi Carnot (1824) et des travaux du biologiste Alfred Lotka (1945, 1956). La thermodynamique parce qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement, la biologie parce qu’elle nous révèle la vraie nature du processus économique (Dannequin, Diemer, Vivien 1998).

      • 20 Selon Nicholas Georgescù-Roegen (1978, p 353), la thermodynamique devient un des éléments de la con(...)
      • 21 « La loi de l’entropie est la racine de la rareté économique. Si cette loi n’existait pas, nous pou (...)

      La thermodynamique nous enseigne que, dans le processus de production, la quantité d’énergie est conservée (premier principe de la thermodynamique), mais sa forme - et donc sa disponibilité - a changé, de l’énergie libre (ou énergie utilisable) s’est transformée en énergie liée (ou énergie inutilisable), ce que nous appelons le deuxième principe de la thermodynamique, principe dit de Carnot-Clausius, encore appelé loi d’entropie. Pour le dire autrement, le processus économique serait nécessairement entropique20, transformant de l’énergie (basse entropie) en déchets et rejets (haute entropie). Entendant pourfendre les références analytiques à la mécanique qui sont monnaie courante en économie, Georgescù-Roegen (1971) a beaucoup fait pour la reconnaissance de la loi d’entropie. Cela l’a amené à intervenir directement dans les controverses scientifiques qui entourent cette loi. Alors que celle-ci concerne habituellement l’énergie, Georgescù-Roegen (1978, p. 361) entend étendre cette loi à la matière, édictant ainsi une quatrième loi de la thermodynamique qui stipule que «dans un système clos, l'entropie de la matière tend continuellement vers un maximum ». L’entropie serait donc une loi à laquelle on ne peut échapper, d’où l’insistance de Georgescù-Roegen (1995) sur le caractère irrévocable de cette évolution21. Tous les êtres vivants luttent en effet contre l'entropie.

    • La biologie souligne que l’homme - comme toutes les espèces naturelles - a toujours utilisé ses organes biologiques afin de puiser la basse entropie de l’environnement. De tels organes propres à chaque espèce vivante sont, selon la terminologie d’Alfred Lotka (1945, 1956), les organes endosomatiques. Mais progressivement, les êtres humains se sontdistingués de la plupart des animaux en faisant appel à d’autres instruments qualifiés d’exosomatiques. Avec ces organes détachables, principalement des outils et des équipements techniques « énergétivores », l’espèce humaine serait parvenue à accomplir de nombreuses réalisations. Les organes exosomatiques seraient même devenus aussi vitaux que les organes endosomatiques (les hommes en sont largement dépendants). Dans ces conditions, le processus économique apparaît bien comme une extension de l’évolution endosomatique, en d’autres termes, comme la continuation de l’évolution biologique (Dannequin, Diemer 1999a). La référence à la biologie permet également de mettre en lumière le concept debiocénose. Ce dernier rappelle que dans les écosystèmes, les différentes espèces d’organismes se rencontrent toujours selon des associations caractéristiques. On peut ainsi étendre ce concept aux systèmes industriels en recherchant les meilleures associations (engrais-ciment ; betterave-biocarburant ; pulpe-papier…)

    18A ce stade de l’analyse, Nicholas Georgescù-Roegen (1971, 1986) considèrera que la seule voie pour l’humanité consiste à réorienter son développement exosomatique en intégrant les générations futures (Dannequin, Diemer, 1999b). La prise en compte des générations présentes et futures doit se traduire par la mise en place d’un programme bioéconomique minimal(Georgescù-Rogen 1975, 1978), symbolisant la montée des valeurs sociétales et de l’éthique (Dannequin, Diemer 2004). Tous les espoirs sont ainsi contenus dans la fusion de l’économie et de l’écologie (c’est toutefois l’économie qui devra être absorbée par l’écologie) : « L’un des principaux problèmes écologiques posé à l’humanité est celui des rapports entre la qualité de la vie d’une génération à l’autre et plus particulièrement celui de la répartition de la dot de l’humanité entre toutes les générations. La science économique ne peut même pas songer à traiter ce problème. Son objet, comme cela a souvent été expliqué, est l’administration des ressources rares; mais pour être plus exact, nous devrions ajouter que cette administration ne concerne qu’une seule génération » (NGR 1979, p. 95). Si la« décroissance » prônée par Georgescù-Roegen (1995) paraît difficile à mettre en œuvre (l’homme reste attaché au confort que lui procurent ses organes exosomatiques), le message ne tombera pas dans l’oubli. Frosch et Gallopoulos (1989, p. 114) rappelleront par deux fois qu’un écosystème industriel efficace ne s’établira que « si les réformes de la production s’accompagnent de modifications des habitudes de consommation et des traitements des produits consommés (exemple du tri des ordures bien présent dans des pays comme le Japon, la Suède et la Suisse) ». Les industriels et les consommateurs devront changer leurs habitudes s’ils veulent conserver ou améliorer leur niveau de vie, sans souffrir de la dégradation de l’environnement (Tukker, Cohen et al. (2006) insistent sur la notion de « sustainable consumption »). L’écologie industrielle entend s’employer à cette tâche et trouver « des principes et des modèles applicables à la gestion des entreprises et aux processus de production en s’inspirant de l’étude des écosystèmes » (Vivien 2002, p. 5). Cette approche ne se limite pas au stade des idées, elle a pris également forme avec la symbiose de Kalundborg et l’émergence des parcs éco-industriels.

    2. De la symbiose industrielle aux parcs éco-industriels

    • 22 Christensen (2006, p. 2) parle de « Collaboration between different industries for mutual economic (...)

    19Lors de sa conférence à Lausanne, Lifset (2006, p. 6) insistait sur ce qu’il a appelé « an initial fascination with Kalundborg ». La « symbiose de Kalundborg » illustre la nécessaire interdépendance entre plusieurs processus de production de différentes firmes et le bouclage des flux de matière et d’énergie à mettre en œuvre à l’intérieur d’une zone d’activité industrielle (Vivien 2002). Chertow (2004, p. 2) en donne une définition22explicite : « Industrial symbiosis engages traditionally separate industries in a collective approach to competitive advantage involving physical exchanges of materials, energy, water,and/or by products. The keys to industrial symbiosis are collaboration and the synergistic possibilities offered by geographic proximity”. L’exemple de Kalundborg est présenté comme un « écosystème industriel modèle » (Frosch 1995, p. 149). Il a capturé l’attention des économistes (Ehrenfeld, Gertler 1997, Côte, Cohen-Rosenthal 1998, Hardy, Greadel 2002) ; l’imagination des décideurs politiques (Wells, Orsato 2005) et fait de nombreux émules. Les parcs agro-industriels (Labrune 2000, Ozyurt, Realff 2001) ont ainsi été pensés à son image.

    2.1. La symbiose de Kalundborg

    20Située au bord de la Mer du Nord, à une centaine de kilomètres de Copenhague, Kalundborg est une petite ville de vingt mille habitants. Kalundborg doit sa fortune principalement à son fjord, l’un des principaux ports accessibles durant l’hiver à cette latitude dans l’hémisphère Nord. C’est précisément l’accessibilité de ce port tout au long de l’année qui se trouve à l’origine du développement industriel de Kalundborg. A partir des années 1950, la ville enregistre l’implantation d’une centrale électrique et d’une raffinerie de pétrole. Au fil du temps, les principales entreprises installées vont échanger des déchets, de la vapeur, de l’eau (à différentes températures et différents degrés de pureté) ainsi que divers produits. A la fin des années 1980, les responsables du développement local réalisèrent qu’ils avaient progressivement et spontanément créé un système qu’ils baptisèrent « symbiose industrielle » (Ehrenberg, Gertler 1997).

    Le fonctionnement de l’écosystème

    21La symbiose de Kalundborg comprend six partenaires industriels et un acteur public, distants les uns des autres de quelques centaines de mètres seulement, et reliés entre eux par un réseau de pipelines ad hoc (Christensen 2006). La Centrale électrique Asnaes est la plus puissante du Danemark. D’une capacité de 1500 MW, elle est alimentée au mazout puis au charbon (après le 1er choc pétrolier). Elle emploie près de 250 personnes. Statoil est le plus grande raffinerie de pétrole du Danemark. Elle a une capacité supérieure à trois millions de tonnes de pétrole par an et emploie 350 salariés. Novo Nordisk est la plus grande société danoise de biotechnologies, l’un des principaux producteurs d’enzymes industriels et d’insuline. Elle emploie près de 3500 personnes. Gyproc est une société suédoise dont l’usine de Kalundborg produit des panneaux de construction en gypse (14 millions de m² par an). Elle emploie 165 personnes. Soilrem est une usine de retraitement des sols pollués par les métaux lourds et les hydrocarbures. Elle emploie 65 personnes. Noveren est la propriété de 9 municipalités. Elle retraite près de 126 000 tonnes/an de déchets. Enfin, la Municipalité de Kalundborg est un acteur public qui participe activement au projet industriel. Le fonctionnement de l’écosystème Kalundborg peut être présenté de la manière suivante (Nahapétian 2002). L’eau, sous forme liquide ou de vapeur, constitue le déchet valorisé de la manière la plus systématique (Keckler, Allen 1998). Elle provient soit directement du lac Tisso, distant d’une quinzaine de kilomètres, soit du réseau de la municipalité de Kalundborg. La raffinerie de Statoil fournit de l’eau usée pour refroidir la centrale électrique Anaesvaerket. Cette dernière vend de la vapeur à la raffinerie Statoil, à Novo Nordisk (pour ses tours de fermentation), à Gyproc ainsi qu’à la municipalité de Kalundborg pour son réseau de chauffage urbain à distance. La centrale électrique vend même de l’eau chaude à une ferme d’aquaculture qui élève des turbots.

    Fig 1 : La symbiose industrielle de Kalundborg

    Fig 1 : La symbiose industrielle de Kalundborg

    Source : Christensen (2006)

    22Sur la base des informations disponibles en 1999, le système de Kalundborg présentait un certain nombre d’avantages environnementaux et économiques (Erkman 2004). Du point de vue environnemental, l’écosystème industriel faisait apparaître un bilan positif : une réduction de la consommation de ressources (soit 45 000 t par an de pétrole, 15 000 t par an de charbon et 600 000 m3 par an d’eau, une ressource rare dans la région) ; une réduction des émissions de gaz à effet de serre et de polluants (soit 175 000 tonnes par an de gaz carbonique, 10 200 tonnes par an de dioxyde de soufre) et une réutilisation des déchets (130 000 tonnes annuelles de cendres pour la construction routière, 4 500 tonnes annuelles de soufre pour la fabrication d’acide sulfurique, 90 000 tonnes par an de gypse, 1 440 tonnes par an d’azote et 600 tonnes par an de phosphore). Brings Jacobsen (2006) a renouvelé l’opération quelques années plus tard, en cherchant à quantifier les échanges d’eau et de vapeur. Sur la période 1992-2002, le remplacement de l’eau de surface (lac) par de l’eau recyclée concernait près de 1.1 million de m3. Sur la période 1997-2002, les réductions d’émissions de dioxyde de carbone et d’oxyde de nitrogène étaient respectivement estimées à 154 000 tonnes et 389 tonnes (il s’agit d’une comparaison de la production de la centrale Asnae avec celle d’une installation au gaz naturel). Du point de vue économique, les investissements nécessaires au bouclage des vingt cinq opérations ont dépassé les 75 millions de dollars. Avec une économie annuelle proche de 15 millions de dollars, le retour sur investissement serait d’environ de quatre à cinq ans pour les projets importants (de deux ans pour les autres).

    • 23 Christensen (2005) a relativisé ces critiques en rappelant que l’engagement dans la durée donnait u(...)

    23Au-delà de ses nombreux avantages, lesystème de Kalundborg ne doit pas être « idéalisé » (Erkman 2004, p. 4) mais plutôt servir d’exemple. Deux inconvénients23, ont ainsi été formulés par certains observateurs (Sterr, Ott 2004) : une certaine rigidité des échanges et un risque systémique en cas de défection de l’un des coopérants.

    Les enseignements de Kalundborg

    • 24 « Communication is more importantthan technology » (Christensen 2006, p. 48).

    24La symbiose de Kalundborg permet de tirer trois enseignements. Il s’agit avant tout d’un processus spontané, qui s’est progressivement (de 1961 à 2007) mis en place sur des bases commerciales qui satisfont toutes les entreprises (scénario win-win). Suren Erkman note que « les échanges obéissent aux lois du marché » 1998, p. 26). Chaque livraison de « déchets » entre les partenaires fait l’objet d’une négociation séparée et confidentielle. La symbiose industrielle de Kalundborg apparaît sous la forme d’un « réseau environnemental » de plus de 20 accords commerciaux bilatéraux entre 6 firmes et une municipalité. Trois types de projets ont vu le jour : le recyclage de l’eau (12 projets), l’échange d’énergie (6 projets) et le retraitement des déchets (7 projets). Depuis 1996, le « Symbiosis Institute » constitue la mémoire vivante de cette réussite industrielle. Ensuite, le succès du système repose sur une bonne communication24 entre les partenaires. Christensen (2006, p. 47-48) met en avant trois facteurs clés : la confiance mutuelle « Participants must fit, but be different », la proximité géographique « There has to be a short physical distance between the participants », le style de management (partage de certaines valeurs), « There has to be a short mental distance between the participants ». Enfin, pour devenir opérationnel, ce système doit être intégré dans l’organisation structurelle des entreprises. Dans le domaine du management, l’écologie industrielleentraîne des conséquences majeures. D’une part, elle remet en cause la focalisation de l’entreprise sur le produit. En effet, il s’agit de donner autant d’importance à la valorisation des déchets. D’autre part, les entreprises doivent établir une sorte de Management « over the fence », c'est-à-dire une chaîne collaborative pour assurer une gestion optimale des ressources (Esty, Porter, 1998). Le fait d’optimiser tous les flux de matière et d’énergie mobilisés par les entreprises (de la matière première jusqu’au produit fini) se traduit « tôt ou tard par une performance et une compétitivité accrue » (Erkman, 1998, p. 33). Pour améliorer l’efficacité d’un tel système, il sera cependant nécessaire de favoriser certains panachages industriels (ceci renvoie aux biocénoses industrielles) propices aux échanges de déchets et de ressources (Brings, Jacobsen, Anderberg 2004).

    2.2. Elaboration d’un parc agro-industriel

    • 25 Chertow (2007, p. 13) a identifié ce que l’on pourrait appeler des pré-conditions à la symbiose (co (...)
    • 26 On assiste depuis 1993 à une floraison de parcs éco-industriels, principalement aux Etats-Unis (Dev (...)

    25A la suite du succès de Kalundborg, de nombreux travaux (Chertow 2007, Zhu and al. 2007, Beers et alii 2007) ont cherché à cerner la nature et les caractéristiques de la symbiose afin de la reproduire25 ailleurs. Une série d’initiatives et de projets ont vu le jour. Le concept de « parc éco-industriel26 » a été conçu dans les années 90. Il s’agit d’une zone dans laquelle les entreprises coopèrent pour optimiser systématiquement l’usage des ressources et la valorisation des déchets (Chertow 1999, Peck 2001). L’échelle appropriée du parc dépend du contexte économique, politique et culturel du territoire (Brullot 2006) mais également des effets de synergie (une entreprise, située à une grande distance du complexe industriel, peut être intégrée au parc, si elle est la seule à maîtriser une technologie ou à recycler un déchet dangereux). Suren Erkman (2004, p. 5) préfère parler de « réseaux éco-industriels » (dont les parcs représenteraient un cas particulier) toutefois on pourrait également rapprocher les parcs du concept de « Districts industriels »,une forme d’organisation industrielle et territoriale, chère à Marshall (1919) et à Becattini (2003, 2004). Afin d’illustrer ces propos, nous présenterons, dans ce qui suit, ce qu’il serait convenu d’appeler un projet de district agro-industriel qui a été soutenu par l’Ademe, l’ Institut Supérieur Agricole de Beauvais (ISAB) et la Vannerie Candas (Somme). A l’image des travaux de Ozyurt et Realff (1998, p. 13), on peut avancer que l’émergence de cet écosystème industriel passe par trois phases : « (1) locating sources and sinks of potential materials for exchange or upgrading;(2) filtering feasible exchanges, the exchange candidates, and locations for new infrastructure; and (3) generating optimal configurations for the industrial ecosystem based on the objective of maximizing the system benefit, defined in the particular case study as the revenue that is generated by the system”.

    • 27 Kageröd est un village appartenant à la municipalité de Svalöf (Suède). Il réalise le traitement d’ (...)

    26Les saules (utilisés pour la culture de l’osier) ou Taillis à Très Courte Rotation (TTCR) représentent à la fois une nouvelle pratique agricole (qui s'apparente à la sylviculture) et une illustration de l’élaboration d’un parc agro-industriel (Arronsson 1995). Cette culture consiste à planter une grande quantité de boutures de saules qui se développeront en souches. Ces souches permettront d'obtenir un nombre considérable de branches de saules qui peuvent être coupées et broyées. Les TTCR présentent deux particularités (Rosenqvist, Aronsson, Hasselgren, Perttun 1997). D’une part, ils peuvent approvisionner des chaufferies à bois ou des gazogènes qui produisent de la chaleur ou de l'électricité respectivement. Cette pratique, fortement développée dans les pays scandinaves, permet ainsi de transformer la biomasse en une énergie locale, renouvelable et respectueuse de l'environnement car elle ne participe pas à l'effet de serre. D’autre part, ils peuvent absorber les éléments nutritifs et l'eau contenus dans les rejets liquides des stations d'épuration ou des entreprises agro-alimentaires (eaux usées et boues). Ces effluents, qui constituent une menace pour l'environnement (pollution des milieux aquatiques, contamination des cultures alimentaires par des boues urbaines…) sont valorisés grâce aux saules en amendements organiques (voir également le Kageröd Recycling Projet de la Municipalité de Svalov27, Suède). Les TTCR constituent avec le sol un biofiltre végétal qui absorbe l'azote et le phosphore présents en forte quantité dans ces effluents (Ahman, Backlund, Larsson [1999]). Les saules peuvent ainsi constituer la clé de voûte d'un véritable parc Agro-Industriel (c'est à dire qu'ils peuvent faire le lien entre le traitement des effluents et la production d'énergie pour des entreprises ou des collectivités) au même titre que l’expérience de Kalundborg.

    Intrants et équipements nécessaires pour le Taillis à Très Courte Rotation

    27Les intrants d'une telle culture sont minimes par rapport aux grandes cultures. Ceux-ci sont principalement la lumière, l'eau et des éléments nutritifs : azote, phosphore et potassium. Pour éviter le développement des mauvaises herbes, on utilise des herbicides ou on travaille superficiellement la terre avec une herse. Pour éviter le développement des maladies, on choisit des boutures sélectionnées génétiquement et on mélange dans la parcelle plusieurs clones afin d'éviter des contaminations trop rapides du TTCR (insectes, parasites…). La culture du TTCR demande du temps principalement lors de la phase de démarrage (bonne préparation du sol, plantation des boutures…). Ensuite, la récolte du bois nécessite du matériel spécifique pour couper et broyer les tiges de saules. Le séchage du bois, si nécessaire, représente aussi une dépense d'énergie dans le schéma d'obtention de bois sec en tant que combustible. La figure 2 présente les divers intrants et équipements nécessaires pour assurer l'implantation et le développement des saules en TTCR.

    • 28 Le passage des machines en conditions humides peut entraîner un tassement du sol.

    28Un tel système présente des avantages et des inconvénients techniques, environnementaux et économiques. Du point de vue technique, les TTCR ont une grande capacité d’adaptation sur de nombreux sols. Il est également possible de valoriser des friches agricoles et industrielles. Peu d’interventions sont nécessaires sur le terrain. Par contre, les TTCR exigent l’utilisation de machines spécifiques qu’il faut importer d’Europe du Nord. Le développement des mauvaises herbes lors de la phase d’implantation peut être préjudiciable à la productivité des saules. Il est enfin nécessaire d’avoir une structure pour le séchage du bois (abri aéré pour les tiges, silo de stockage, séchage pour les plaquettes). Du point de vue environnemental, les TTCR exigent peu d’intrants chimiques par rapport aux grandes cultures. Ils limitent les phénomènes de lessivage en régions de grandes cultures (zone tampon), augmentent la biodiversité du milieu (faune et flore), ont un impact positif28sur le paysage et un effet coupe vent (réduisant l’érosion éolienne). Du point de vue économique, le TTCR fournit des revenus proches des grandes cultures avec moins de travail. Une telle diversification entraîne cependant des problèmes de trésorerie (les retours sur investissement ne surviennent qu'au bout de la 4ème année). Par ailleurs, la rentabilité de cette culture passe actuellement par une subvention à l'implantation et des primes à la jachère.

    Fig 2 : Intrants et matériels nécessaires à la culture du TTCR de saules

    Fig 2 : Intrants et matériels nécessaires à la culture du TTCR de saules

    Source : Labrune (2000)

    La production de chaleur ou d’électricité

    • 29 Pour approvisionner une chaufferie, il faut un silo de stockage, une vis sans fin et une chaudière (...)
    • 30 Le centre de tri des colis des 3 Suisses est chauffé à partir du bois produit par cinq hectares de (...)

    29Les plaquettes de saules sont stockées jusqu'à ce qu'elles aient atteint un taux d'humidité de l'ordre de 15-25%. Cette étape nécessite un lieu de stockage pour les plaquettes mais peut se faire à l'extérieur pour les saules en tiges. Les plaquettes de saules sont ensuite utilisables en tant que combustible pour des chaufferies ou des gazogènes29. L'autre valorisation possible de ces plaquettes consiste à transformer le bois en gaz qui génère de l'électricité. Cette électricité peut alors servir aussi bien pour le chauffage30 que pour la consommation électrique de l'usager (fig. 3).

    Fig 3 : De la culture de saules à la production d'énergie

    Fig 3 : De la culture de saules à la production d'énergie

    Source : Labrune (2000)

    • 31 Par contre,les coûts d'investissement et d'aménagements de la chaufferie ou d’un gazogène sont impo(...)
    • 32 Voir le « Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du Règlement par la Commissi (...)

    30De la même manière que les intrants, on peut noter que la production d’énergie à partir des TTCR génère une série d’avantages et d’inconvénients du point de vue technique, environnemental et économique. Concernant la partie technique, il convient de souligner que l'approvisionnement de la chaufferie peut être complété par les déchets et sous-produits du bois de la région. Par ailleurs, les chaufferies semi-automatiques assurent l'alimentation de la chaudière en fonction des besoins de l'usager. La manipulation du bois de saules du taillis à la chaufferie est cependant lourde. Les petites unités peuvent avoir des problèmes de bourrage si le bois utilisé est trop humide. Sur la partie environnementale, il faut insister sur le fait que les saules fixent plus de CO² lors de leur croissance qu'ils n'en dégagent lors de la phase de combustion. En outre, la combustion du bois, contrairement au fuel et au charbon, ne dégage pratiquement pas de soufre. Concernant les dimensions économiques et sociales, le faible coût de fonctionnement d'une chaufferie à bois permet un retour sur investissement de 3,5 ans(par rapport au gaz) à 7 ans (par rapport au fuel)31. L'ADEME subventionne les projets de chaufferies à bois à hauteur de 30% du montant de l'investissement. Enfin, pour un emploi induit par une chaufferie fuel ou gaz, la filière bois est susceptible d’induire 3 à 4 emplois. Un projet local de chauffage au bois peut ainsi être à l'origine d'un développement local. Toutefois, les engagements de l’Etat dans les énergies renouvelables telles que la biomasse ou le solaire restent encore timides32 (et ce malgré les mesures gouvernementales prises en 2006). Par ailleurs, le contexte juridique et fiscal ne favorise pas pour l'instant l'utilisation du bois-énergie.

    Le recyclage des eaux usées et des boues résiduelles

    • 33 Située à Villeneuve d’Asq, la station d’épuration de la Communauté urbaine de Lille et de sa région (...)
    • 34 Dans le cadre du programme FAIR (Aide européenne pour les projets innovants dans le domaine de l’en (...)

    31Les stations d'épuration réalisent le traitement primaire et secondaire des eaux usées collectées dans les zones d'assainissements collectifs (fig. 4). Au cours de ces traitements, les boues résiduelles constituent un déchet qu'on peut valoriser en les épandant sur les TTCR de saules juste après le recépage33. On peut également irriguer les saules avec les eaux usées pré-épurées, ce qui permet d'assurer la dénitrification et la déphosphatation avant le rejet dans le milieu naturel, tout en créant de la matière première : le bois. Par ailleurs, les saules permettent de valoriser les effluents et les boues issus des entreprises agro-alimentaires. Les éléments nutritifs contenus dans ces rejets liquides sont ainsi recyclés en biomasse34. Dans ce cas, les boues proviennent de la station d'épuration de l'entreprise dont les effluents ne peuvent être épandus directement sur les TTCR.

    Fig 4 : Flux de matières et équipements d'un parc agro-industriel de saules

    Fig 4 : Flux de matières et équipements d'un parc agro-industriel de saules

    Source : Labrune (2000 )

    32Du point de vue technique, un tel système présente certains avantages. Les entreprises agro-alimentaires peuvent traiter leurs effluents avec peu de structures à entretenir (par rapport à uns station d'épuration). Le traitement tertiaire des eaux usées grâce aux TTCR est aussi efficace que les techniques physico-chimiques. L'épandage des boues sur les saules peut se faire à des moments où d'autres cultures ne le permettent pas. Il existe cependant des inconvénients. Les TTCR exigent beaucoup de place. Ce système ne convient que pour des effluents et des eaux usées peu chargés en pollution. Les bassins de stockage des eaux usées et l'épandage des boues peuvent engendrer des mauvaises odeurs. Le système de contrôle des eaux usées représente une contrainte réglementaire qu'il faut prendre en compte pour les petits projets d'irrigation. Du côté environnemental, grâce à leur pouvoir épurateur, les saules permettent de traiter les eaux usées au niveau tertiaire et empêchent les phénomènes d'eutrophisation des milieux aquatiques. L'épandage des boues sur une culture non-alimentaire permet d'éviter le "recyclage de la pollution". Les boues et eaux usées appliquées d'une manière excessive peuvent cependant engendrer des phénomènes de lessivage. Concernant le volet économique et social, la valorisation de ces déchets en biomasse permet un retour sur investissement rapide des installations de traitement et peut même créer de la richesse pour l'entreprise. Les entreprises agro-alimentaires bénéficient avec une telle technologie d'une image de marque environnementale: c'est le "marketing vert". Les saules seraient ainsi une réponse au problème de traitement des boues de stations d’épuration dans un contexte agricole de plus en plus défavorable. Il convient toutefois de noter que les investissements de départ (achat ou location des terrains notamment) peuvent constituer un facteur limitant au traitement tertiaire des eaux usées via les saules. De plus, le choix d'une telle technologie peut sembler inutile pour les petites et moyennes stations d’épuration qui ne sont pas obligées pour l'instant de réaliser un traitement tertiaire de leurs eaux usées. Enfin, les Industries agro-alimentaires risquent de rencontrer des difficultés pour louer ou acheter des terrains destinés à traiter leurs effluents.

    Conclusion

    33En l’espace de deux décennies, l’écologie industrielle s’est construite autour d’un corpus théorique associant les sciences de l’ingénieur, les sciences de la terre (thermodynamique et biologie), les sciences sociales, économiques et juridiques. L’écologie serait ainsi devenue une véritable science (avec ses propres lois et son propre langage), et l’entreprise, un vecteur du développement durable. Par analogie, le système industriel est associé à un écosystème biologique dont les principaux objectifs sont la valorisation systématique des déchets, la minimisation des pertes par dissipation (création de réseaux d’utilisation des ressources et des déchets), la dématérialisation de l’économie (optimisation de l’utilisation de la matière) et la décarbonisation de l’énergie.L’écologie industrielle analyse ainsi « local, regional, and global uses and flows of materials and energy in products, processes, industrial sectors, and economies. It focuses on the potential role of industry in reducing environnemental burdens throughout the product life cycle from the extraction of raw materials, to the production of goods, to the use of those goods and to the management of the resulting wastes » (Lifset, 2006, p. 2).L’étude du métabolisme industriel (démarche consistant à comprendre la dynamique des flux et des stocks de matière et d’énergie liées aux activités humaines) constitue un préalable indispensable à l’écologie industrielle. L’écosystème industriel fait apparaître deux niveaux d’abstraction : 1/ un processus de production combiné à un niveau de consommation dans le cadre d’une structure de marché concurrentielle régulée par les prix ; 2/ une entité élémentaire, l’entreprise, qui doit comptabiliser ses flux d’énergie sous la forme de bilans matière (on parle également de bilan environnemental). Sans prôner la décroissance (Georgescù-Roegen, 1995), les tenants de l’écologie industrielle recommandent aux industriels de procéder à un ensemble d’opérations de rationalisation de la production. Des idées qui, sur le terrain, seront illustrées par la symbiose industrielle de Kalundborg et l’émergence des parcs éco-industriels.Dans cette nouvelle approche de l’écologie, le recyclage des déchets ne serait plus une fin en soi. Le développement durable doit désormais mener à une valorisation collective et coordonnée des déchets (passage de la valeur d’échange à la valeur d’utilisation). Et c’est de cette manière que les sciences de l’ingénieur pourront être pensées comme des alternatives « technologiques » au service des Société Humaines.


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